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Littérature et Passion

samedi 26 mai 2007, par Jean-Louis VIDAL

Par Jean-Louis VIDAL,
dans le cadre des 6 èmes journées de l’ANREP,
Colloque sur la Passion du 25 et 26 mai 2007 en AVIGNON

Conférence prononcée dans le cadre des 6es Journées de l’Association Nationale de Recherches et d’Études en Psychiatrie : « La passion », Avignon, 25-26 mai 2007

Envisager ensemble littérature et passion, c’est d’abord se souvenir de ce que le premier objet de la littérature occidentale est celui de la passion : dans l’Iliade, Homère chante la colère d’Achile, et la colère est la première des passions dont traite Aristote dans sa Rhétorique. Tantôt tenues pour condamnables parce qu’eles limitent la liberté humaine et l’exercice de la raison, tantôt vantées comme le moteur des grandes entreprises humaines, les passions ont été et demeurent la matière privilégiée de la littérature. C’est qu’un très ancien contrat lie la littérature aux passions, l’une reflétant les autres, les secondes appelant la première à leur donner figure et sens. De sorte que les personnages de la littérature sont à la fois les miroirs de notre âme déchirée et les explorateurs du champ des possibilités humaines.

Ce qu’on appelait passion est plutôt appréhendé aujourd’hui à travers les catégories de la pulsion, du désir ou des affects. La signification du mot est notamment marquée par le romantisme qui a consacré la captation du sens de passion par celui de passion amoureuse, à laquelle je m’attacherai aujourd’hui pour l’essentiel. Les arts se sont emparés de la notion dans son sens positif. Balzac, qui entend faire « l’histoire du cœur humain », sait que « la passion est toute l’humanité » et que « les grandes œuvres ne subsistent que par leurs côtés passionnés » (1).
Mais convoquer ensemble littérature et passion, conduit d’entrée de jeu à buter sur une question de poule et d’œuf : la littérature (romanesque, notamment) reflètet-elle les passions, ou bien celles-ci ne prennent-elles forme que par la littérature ? En d’autres termes, les textes littéraires racontent-ils les passions telles qu’on les vit, ou les passions ne prennent-elles corps et identité que par projection sur l’écran de la fiction ? Tenter de clarifier cette question me conduira à interroger, outre les représentations et une poétique de la passion, les passions jumelles de la lecture et de l’écriture.

Le miroir des passions

On peut appliquer à l’ensemble de la littérature la définition que Balzac donne de son œuvre : « un immense assemblage de figures, de passions et d’événements » : ce sont là les trois piliers de la représentation narrative, les passions s’incarnant dans des figures elles-mêmes prises dans une action dramatique : c’est l’ambition d’Agrippine, l’héroïsme du Cid, le sacrifice de Grandet, la passion de la justice d’Antigone, et puisqu’il s’agit ici de passion amoureuse, la fureur de Phèdre, la jalousie d’Othello, l’amour fatal de Tristan et Iseult, où l’on reconnaît cette passion « ardente, impétueuse, écrit Rousseau, qui rend un sexe nécessaire à l’autre, passion terrible qui brave tous les dangers, renverse tous les obstacles, et qui dans ses fureurs semble propre à détruire le genre humain qu’elle est destinée à conserver. » Mais si notre système de représentation de la passion amoureuse date pour l’essentiel de la fin du XVIIIe siècle et du romantisme européen, elle est tout autant l’héritière de l’histoire de Tristan et Iseut ou de Roméo et Juliette, comme de celles de la princesse de Clèves, de Manon Lescaut, de Julie d’Etanges, ou de l’Amour de Swann et d’Odette de Crécy.
À la fin du XIIe siècle, le roman de Tristan et Iseut dit l’élan irrépressible de la passion. Les jeunes gens boivent à leur insu le philtre d’amour et sont pris de passion l’un pour l’autre. L’oubli de « l’amour de loin » met l’ordre en péril, et seule la mort leur redonnera leur pureté. Quatre siècles plus tard, Shakespeare met sur le théâtre l’aveuglement fatal de Roméo et de Juliette, dont chacun croit que l’autre est sa raison non de vivre mais de mourir.
Au XVIIe siècle, le roman lie la durée romanesque à l’analyse psychologique. Mme de La Fayette raconte l’éclosion et les errements d’une passion qui ne cède pas à l’éros. « Les passions peuvent me conduire, mais elles ne sauraient m’aveugler » dit la Princesse de Clèves. Stendhal reconnaîtra dans cette fermeté « la chose la plus admirable qui puisse exister sur terre », tout en y voyant cependant « un malheur des femmes » en ce qu’il est « toujours employé contre le bonheur. » De Stendhal aux modernes qui feront de l’abandon à la passion une voie sublime, c’est là un parfait sacrilège. Pour Julie d’Étanges, La nouvelle Héloïse, il s’agit encore d’étouffer une passion que Rousseau décrit comme un délire de l’imagination, du corps et de l’âme contraire à l’harmonie sociale. Mais la société vaut-elle un tel sacrifice ? La passion, qui insuffle son énergie aux lettres des protagonistes, échouera à se convertir en générosité.
Vient Stendhal qui s’essaie à théoriser la passion. Ce sont les étapes de l’innamoramento : d’abord l’admiration, puis l’espoir, opèrent une cristallisation qui configure l’amour passion : « Aux mines de sel de Salzbourg, écrit magnifiquement Stendhal, on jette dans les profondeurs abandonnées de la mine, un rameau d’arbre effeuillé par l’hiver ; deux ou trois mois après on le retire couvert de cristallisations brillantes : les plus petites branches, celles qui ne sont pas plus grosses que la patte d’une mésange, sont garnies d’une infinité de diamants, mobiles et éblouissants ; on ne peut plus reconnaître le rameau primitif. Ce que j’appelle cristallisation, c’est l’opération de l’esprit, qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l’objet aimé a de nouvelles perfections. ». Une seconde cristallisation succède à la peur de perdre l’aimé puis la passion s’installe : le monde n’est plus rien, l’être aimé est tout. Mais le manque, et non le tout suscite le désir : la passion ne pourra que s’étioler, mourir, ou faire mourir.
Mourir d’amour ? Allons donc ! Écoutons le cri de Swann – qui vient d’épouser Odette de Crécy : « Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre ! » Aux yeux de Proust, rien ne justifie l’irrationnel de la passion amoureuse. On retiendra de son analyse de la séquence passionnelle, que ce qu’on aime de l’autre, c’est « un autre monde », sur lequel on projette des fantasmes familiers : Odette, demi-mondaine un peu fanée, est pour Swann la Zéphora de Botticelli, comme Clélia Conti était associée aux tableaux aimés de Fabrice del Dongo. Devenir un des objets du monde de l’autre, prendre place dans ses pensées : cette intrusion est désir de possession, qui distingue passion amoureuse et amour. Après que la vue de Madame Arnoux eut fait sur le héros de L’Éducation sentimentale l’effet d’une « apparition », Frédéric Moreau se demande « quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu’elle avait portées, les gens qu’elle fréquentait : et le désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n’avait pas de limites. » Mais, dit le narrateur de La Prisonnière, « on n’aime que ce qu’on ne possède pas. » Seule l’angoisse de l’absence et de la perte fait vivre la passion.

Quand on aime…

Comment lire ces représentations de la passion amoureuse ? Il apparaît à travers elles que la passion est à la fois signe d’une profonde dénégation du réel, et espoir d’une expérience de vie intense, tout en n’étant peutêtre qu’un simple effet de langage.
Le personnage passionné est sous le contrôle d’une tendance dominante. Julien Sorel oublie avec Madame de Rênal qu’il veut être Napoléon : « Julien ne pensait plus à sa noire ambition ; pour la première fois de sa vie il était entraîné par le pouvoir de la beauté. ». C’est que la passion est un emballement de l’imagination à propos de quelque chose d’autre que soi, qui se fait pourtant enfermement sur soi. Phèdre à propos d’Hippolyte : « Je l’évitais partout. // O comble de misère ! Mes yeux le retrouvaient dans les yeux de son père. » L’amour fait d’elle l’otage d’un absent.
« Quand on aime, on n’aime plus personne » note Proust. La passion fait d’une partie un tout. On assiste alors à une double répudiation : au refus du monde répond le congédiement de l’objet de la passion. Car c’est lorsque l’objet d’amour vient à manquer que se déclare un amour fou et passionnel. Phèdre n’a de cesse d’éloigner d’elle l’objet de ses vœux et de transformer l’objet présent en objet absent. Que dit-elle en présence d’Hippolyte ? :
Le voici. Vers mon cœur tout mon sang se retire. J’oublie, en le voyant, ce que je viens lui dire. (II, 5) Hippolyte présent annule le discours de la passion. En même temps, la passion ferme au possible. « Par quel funeste ascendant on se trouve emporté loin de son devoir » se demande le chevalier des Grieux. Évoquant sa première rencontre avec Manon, il explique que la beauté de la jeune fille, « la douceur de ses regards, un air charmant de tristesse » l’ont aussitôt déterminé à s’attacher à elle, « ou plutôt, corrige-t-il, l’ascendant de ma destinée qui m’entraînait à ma perte. » L’immaîtrise reconnue (la fatalité astrologique) et une logique d’impuissance (« on se trouve emporté ») font oublier la part raisonnable de la raison qui pose la question du sens. « Conscience qui se lie à elle-même », selon le mot de Ricœur (2), « la passion est la volonté qui se rend prisonnière de maux imaginaires, captive du Rien ou mieux du Vain. Nourrie de vent et en proie au vertige de la fatalité, la passion est dans son essence toute spirituelle. »
Mais pourquoi cet esclavage ? C’est que le passionné est en délicatesse avec le réel dont l’empire des passions suppose la mise hors circuit. Le catalogue des passions de La Comédie humaine, l’ambition sociale, l’avarice, la vengeance, l’amour-propre ou la passion amoureuse sont en définitive autant de modes de reconversion dans l’irréel. On comprend qu’elles soient inapaisables, aveugles et destructrices, telle La Recherche de l’absolu dont Balzac fait la description clinique. Balthazar Claës consacre sa vie à la recherche d’une unité chimique de tout ce qui existe. Cette chimère le voit dilapider sa fortune et accabler sa femme de privations :
« - Monsieur, madame se meurt et l’on vous attend pour l’administrer, cria Martha avec la violence de l’indignation.
- Je descends, répondit Balthazar.
Mais il tarde, et lorsqu’il rejoint enfin l’assemblée : « En voyant entrer son mari, écrit Balzac, Joséphine rougit, et quelques larmes tombèrent sur ses joues.
- Tu allais sans doute décomposer l’azote, lui dit-elle avec une douceur d’ange qui fit frissonner les assistants.
- C’est fait, s’écria-t-il d’un air joyeux : l’azote contient de l’oxygène et une substance de la nature des impondérables qui vraisemblablement est le principe de la… Il s’éleva des murmures d’horreur qui l’interrompirent et lui rendirent sa présence d’esprit. » Sa « présence d’esprit » : la langue dit bien que l’esprit du passionné est ailleurs, s’applique hors du champ du hic et nunc qu’il défie littéralement par son extravagance.
Mais si les passions s’épuisent dans la préférence de l’irréel au réel, la passion s’affirme en revanche depuis le romantisme comme le véritable moteur de l’existence. Bien avant que Péguy y voit « un renforcement d’être », Diderot s’insurgeait contre ceux qui « déclame(nt) sans fin contre les passions », proclamant qu’il n’y a « que les passions et les grandes passions qui puissent élever l’âme aux grandes choses. Sans elles plus de sublime, soit dans les mœurs, soit dans les ouvrages. »
On pense à Corneille et au sublime de la passion, à l’énergie et à la vertu héroïque qui permettent à Horace, Polyeucte ou Rodrique de trancher au nom de passions qui ont nom gloire et générosité. Corneille invente l’esthétique du conflit entre deux instances, le devoir et la passion. Deux passions s’affrontent, non la raison et la passion. Mais en deça-même de ce paroxysme héroïque, il est vrai qu’il y a un optimisme de la passion. Dramatique et ludique à la fois, l’aventure passionnelle est faite d’épreuves et de ténacité. Gage de dépassement de soi, la passion est le moyen des hauts faits et de la vie intense, d’un accroissement de ce que Rousseau appelle « l’amour de soi ».

Une histoire qu’on se raconte

Mais éprouvée dans son intensité, la passion est aussi vécue comme un destin auquel consentent les personnages, ravis au double sens de rapt et de ravissement. Lorsqu’il constate : « Manon était passionnée pour le plaisir. Je l’étais pour elle », Des Grieux revit en réalité l’expérience d’une double nécessité. Sa vie paraît avoir trouvé son ordre, quand cela a été dans le désordre et le malheur. Comme si la dimension psychologique de l’état passionnel dissimulait une véritable passion métaphysique, la passion d’un esprit épris d’absolu, qui veut conjurer le relatif et le contingent. Et l’illusion passionnelle n’est éprouvée comme destin que parce qu’elle implique une liberté, même bafouée par ce qui la dépasse. La conduite de des Grieux suppose une religion de l’amour : « J’aime Manon, raisonne-t-il ; je tends au travers de mille douleurs à vivre heureux et tranquille auprès d’elle. La voie par où je marche est malheureuse, mais l’espérance d’arriver à mon terme y répand touj ours de la douceur. » Cette quête de Manon, qui fait tout le roman, n’est pas sans évoquer l’ascèse des martyrs et des saints.
Mais il faut maintenant se demander si la littérature représente la passion vécue, ou si la passion épouse les formes de la littérature. Pour Flaubert l’expérience passionnelle ne fait pas l’œuvre. « Avant, dit-il, autrefois, j’ai cru à la réalité de la poésie dans la vie, à la beauté plastique des passions, etc. » Il y a cependant un effet de miroir qui fait perdre de vue l’objet original. La vie rejoue-t-elle la partition des œuvres ? Ou la littérature trouve-t-elle dans les passions humaines à la fois les formes du récit et une matière destinée sui generis à la scène littéraire ?
Ainsi que Rousseau le fait dire à Julie d’Etanges, « Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! » Julie sait que la jouissance impose silence à la passion, la présence des êtres et des choses dévaluant les mots qui les faisaient briller dans le vide : « l’homme avide et borné, a reçu du ciel une force consolante qui rapproche de lui tout ce qu’il désire, qui le soumet à son imagination, qui le lui rend présent et sensible, qui le lui livre en quelque sorte (…). Mais tout ce prestige disparaît devant l’objet même, rien n’embellit plus cet objet aux yeux du possesseur ; on ne se figure point ce qu’on voit. » Ne pouvant se parler, Julie et Saint-Preux ne peuvent non plus se taire. La lettre passionnée donne tout son prestige à la parole grâce à laquelle on se figure et on donne figure. Le discours enflammé évoque l’aimé, l’invoque, le convoque sur la scène de l’imagination.
On le voit, la passion est bien « une histoire qu’on se raconte », et ce aux deux sens de l’expression : on se paie de mots et on met en récit. On fabule tout en inscrivant ce qu’on éprouve, plus qu’on le comprend, dans un muthos ou une « mise en intrigue », un arrangement d’événements qui en font une histoire avec « un commencement, un milieu et une fin ».
Ainsi, décrite comme excès et désordre irrationnel, la passion se manifeste par ce qu’il y a de plus ordonné dans une culture. L’analyse sémio-narrative met à jour des séquences et des actants narratifs canoniques qui reconfigurent des temporalités hétérogènes pour en faire une sorte de « temps passionnel unifié ». Du point de vue du personnage (puis du lecteur), la passion joue le rôle d’une grille de lecture culturelle qui permet de convertir une expérience non catégorisée en une forme reconnaissable et interprétable. Swann, par exemple, sait se situer dans la séquence canonique de la passion amoureuse et en anticiper, pour son malheur, les étapes à venir. Il apparaît donc que l’organisation des actions dans le temps de la fable répond à la douleur de l’existence séparée de soi, du monde et des autres, à la difficulté d’accéder au sens et à la vérité. Le passage à l’intrigue organisée est une transfiguration. Les choses absentes y sont remplacées par leur signe, et ce déplacement fait émerger les figures ou les formes. Alors se produit le miracle : le pur écoulement du temps se transforme en ordre de la raison et la chronologie en logique du récit. La passion est ainsi une production dont le langage est non seulement le vecteur (je profère ma passion) mais aussi la substance (ma passion est langage). Mais « cette confusion vécue de la métaphore et du réel, qui est la condition de toute passion » (3) et l’activité de l’imaginaire qui nous fait vivre l’image comme la réalité même, n’entraînent-elles pas la passion à n’être qu’un effet de langage ?
La passion, c’est ce qui se dit, c’est ce qui s’écrit. L’énonciation de la passion est performative. Emma doit s’écrier : « J’ai un amant ! » et Mathilde de la Mole : « Oui ! C’est l’amour avec tous ses miracles qui va régner dans mon cœur ! » Et lorsqu’Emma écrit à Léon, « en vertu de cette idée, qu’une femme doit toujours écrire à son amant », (…) « en écrivant, elle percevait un autre homme, un fantôme fait de ses plus ardents souvenirs, de ses lectures les plus belles, de ses convoitises les plus fortes ; et il devenait à la fin si véritable, et accessible, qu’elle en palpitait émerveillée. Il habitait la contrée bleuâtre où les échelles de soie se balancent à des balcons, sous le souffle des fleurs, dans la clarté de la lune. »
Ainsi toute passion consiste à vivre la réalité métaphoriquement. Non seulement à tenir l’irréel pour le réel mais à transférer sur le signe le désir qu’on a du signifié, confondant l’image et la réalité, le mot et la chose. De sorte que tout amour est rêvé et s’enfante lui-même, puisque c’est de cette aura rêveuse que nous sommes épris. Proust dit alors non sans raison qu’il faut « laisser les jolies femmes aux hommes sans imagination » !

Le miroir de la littérature

À l’arrière-plan de nos représentations de la passion, se dressent des figures de la littérature dont certaines sont devenues mythiques. La littérature brosse la fresque des passions humaines en les mettant en intrigue. Mais cet ordre exerce en retour sur nos passions une puissante prégnance culturelle. Au point que, comme le déplore Jules Vallès, « joies, douleurs, amours, vengeances, nos sanglots, nos rires, les passions, les crimes, tout est copié. Pas une de nos émotions est franche, le Livre est là. » En effet, la passion vécue est surdéterminée par les schémas de la représentation qu’en construisent notamment le roman et la poésie.
C’est que le réel n’est jamais exempt de mise en forme préalable, et qu’il n’y a pas d’expérience sans référence. C’est le sort, chez les plus grands, des passions les plus grandes. Il faut lire dans les Mémoires d’outretombe les lignes où Chateaubriand révèle le motif réel de son voyage de Paris à Jérusalem. « Mais ai -je tout dit dans L’Itinéraire sur ce voyage commencé au port de Desdémona et d’Othello ? Allais -je au tombeau du Christ dans les dispositions du repentir ? Une seule pensée m’absorbait ; je comptais avec impatience les moments. Au bord de mon navire, les regards attachés sur l’étoile du soir, je lui demandais des vents pour cingler plus vite, de la gloire pour me faire aimer. J’espérais en trouver à Sparte, à Sion, à Memphis, à Carthage, et l’apporter à l’Alhambra. Comme le cœur me battait en abordant les côtes d’Espagne ! Aurait-on gardé mon souvenir, ainsi que j’avais traversé mes épreuves ? » Natalie de Noailles, la seule femme que Chateaubriand eût vraiment aimée, est en Espagne dans les derniers mois de 1806, pour illustrer un « Voyage pittoresque et historique de l’Espagne ». Le pèlerinage humaniste et chrétien est détourné au profit d’un rendez-vous d’amour. François-René joue la fiction romanesque du chevalier qui, au retour d’Orient, retrouve sa dame avec de la gloire pour se faire aimer.
On ne s’étonnera pas qu’il en soit de même dans la vie feinte des romans. Dans Le Rouge et le Noir, la passion de Mathilde de la Mole commence véritablement quand les mots « amour », « grande passion », surgis de la mémoire des romans qu’elle a lus, s’imposent à elle pour nommer l’intérêt qu’elle éprouve pour Julien : « Elle repassa dans sa tête toutes les descriptions de passions qu’elle avait lues dans Manon Lescaut, La Nouvele Héloïse, les Lettres d’une Religieuse portugaise, etc., etc.. Il n’était question, bien entendu, que de la grande passion. » (…) Plus encore, Mathilde de la Mole est ici un personnage de roman tenté par le romanesque : « Du moment qu’elle eut décidé qu’elle aimait Julien, elle ne s’ennuya plus. Tous les jours elle se félicitait du parti qu’elle avait pris de se donner une grande passion. Cet amusement a bien des dangers, pensait-elle. Tant mieux ! mille fois tant mieux ! »
La passion imite ainsi la littérature. Elle en appelle à sa médiation. Comme pour le personnage de fiction, la passion donne le sentiment de quelque chose de grand, qui peut dépasser et accabler, mais aussi donner sens à l’existence en lui conférant la force d’un destin. La passion vécue est à même, comme Camus le dit du roman, de « fabriquer du destin sur mesure ». Saisi d’une « fièvre de l’unité » le passionné « entre dans le devenir pour lui donner le style qui lui manque ». Face au « désir éperdu de durer », « il ne suffit pas de vivre, il faut une destinée, et sans attendre la mort. »
En 1901, Paul Claudel, fraîchement nommé consul rencontre Rosalie Vetch sur le paquebot qui les emmène en Chine. Ils vivent une passion dont l’écriture, après coup, tentant d’en démêler le sens, ne pourra qu’en chanter magnifiquement le mystère. « Avec lui, dit Ysé de sa passion pour Mésa, c’était le désespoir et le désir, et un souffle tout à coup, et une espèce de haine, et la chair qui se retire, et force du fond de mes entrailles comme de l’enfant qu’on s’arrache ! ». Partage de midi, publié en 1906, joué en 1948, n’est pas la simple transcription d’une crise passionnelle, mais la création poétique d’une élévation vers la sphère suprême de la passion, où l’humain rejoindrait le divin. La préface donnée par Claudel montre exemplairement comment la vie n’accède pleinement au sens que par la création littéraire qui à la fois la métaphorise et l’inscrit dans la mémoire des récits : « Rien de plus banal, mais aussi rien de plus antique, et (…) rien de plus sacré, puisque l’idée de cette bataille entre la Loi et la Grâce, entre Dieu et l’homme, entre l’homme et la femme, court sous les récits de l’Ancien Testament les plus riches de signification. » Il faut que les choses passent de la chair du monde à la chair immatérielle des mots.
Il a fallu que germent les passions, écrit Rousseau, pour « dénouer la langue ». « Ce n’est ni la faim ni la soif, mais l’amour, la haine, la pitié, la colère, qui ont arraché [aux hommes] les premières voix. » Mais les mots se sont usés, et la passion a inscrit ses clichés dans la langue : passion pyromane qui enflamme, consume et brûle ; anthropophage, elle dévore et ronge ; torrentielle, elle noie de ses flots et recouvre de ses vagues. Enfin, elle emporte et transporte, toujours aveugle bien entendu. Quant à la comptine, elle en fige le cycle dans son mouvement perpétuel : je t’aime, un peu (c’est le marivaudage) ; beaucoup (l’affection) ; passionnément ; à la folie (l’horizon limite) ; pas du tout.
C’est en réalité « dans « la vie » que les livres trouvent un monde » et « il n’y aurait pas de livres si les expériences de la vie n’étaient déjà ordonnées en figures. » (4). La vie passionnée est la matière privilégiée de la littérature en ce qu’elle offre les figures, les passions et les événements où Balzac reconnaissait son bien. Les passionnés préfigurent ce que Milan Kundera appelle des « ego expérimentaux », c’est-à-dire les personnages à travers lesquels le romancier « examine le champ des possibilités humaines. » La passion ébauche le travail que la littérature poursuivra en inscrivant le désordre passionnel dans l’ordre de l’œuvre. Ainsi du coup de foudre qui instaure dans le temps de la vie le premier moment de ce qui sera le temps autre de la passion amoureuse, avec son début, son milieu et sa fin et dont les œuvres déclinent les variations.

Elle vint, je la vis

Et que la passion ait une puissance esthétique en elle-même, rien ne le montre mieux que le roman par lettres (on pense aux Liaisons dangereuses), qui se présente comme le simple dépôt des mouvements du cœur. « Ces sortes de roman, dit Montesquieu, font plus sentir les passions que tous les récits qu’on en pourrait faire. »
Mais la vie et la littérature peuvent nouer une relation plus étroite encore, et plus ambiguë, quand le créateur de personnages passionnés vit lui-même une passion et que la création littéraire est la revanche du rêve sur la vie. « L’impossibilité d’atteindre aux êtres réels, écrit Rousseau dans Les Confessions, me jeta dans le pays des chimères, et ne voyant rien d’existant qui fût digne de mon délire, je le nourris dans un monde idéal que mon imagination créatrice eut bientôt peuplé d’êtres selon mon cœur ». Mais le phénomène va se compliquer par un jeu de réfractions et de transferts. En 1757 (il a quarante-cinq ans), Rousseau éprouve une très vive passion pour Mme d’Houdetot, mariée à un officier qu’elle n’a jamais aimé, mais très amoureuse de son amant, Saint-Lambert. Le philosophe explique les causes de cette passion soudaine. « Le retour du printemps avait redoublé mon tendre délire, et dans mes érotiques transports j’avais composé pour les dernières parties de la Julie plusieurs lettres qui se sentent du ravissement dans lequel je les écrivis.
(…) Précisément dans le même temps, j’eus de Mme d’Houdetot une seconde visite imprévue. (…) À ce voyage, elle était à cheval et en homme. Quoique je n’aime guère ces sortes de mascarades, je fus pris à l’air romanesque de celle-là, et pour cette fois ce fut de l’amour. (…) Elle vint, je la vis, j’étais ivre d’amour sans objet, cette ivresse fascina mes yeux, cet objet se fixa sur elle, je vis ma Julie en Mme d’Houdetot, et bientôt je ne vis plus que Mme d’Houdetot, mais revêtue de toutes les perfections dont je venais d’orner l’idole de mon cœur. » Outre que Rousseau « cristallise » avant la lettre, sa passion est précipitée par la contagion entre ses propres fictions littéraires et les sentiments de Mme d’Houdetot pour son amant : « Pour m’achever, elle me parla de Saint-Lambert en amante passionnée. Force contagieuse de l’amour ! (…) J’avalais à longs traits la coupe empoisonnée dont je ne sentais encore que la douceur. »
On aura noté les nombreuses marques d’intertextualité : la référence à l’air romanesque, le « elle vint, je la vis », écho du « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue » de Phèdre, enfin « la coupe empoisonnée », nouveau philtre fatal. On voit comment la passion travaille le texte, fait se confondre personnes et personnages, événements et souvenirs de lectures afin que s’instaure l’ordre second des livres.
Y a-t-il donc une écriture de la passion ? Autant qu’un « un exemple terrible de la force des passions », ainsi qu’il est dit dans l’Avant-Propos, le roman de Laclos est aussi l’exemple canonique d’une poétique de la passion. Véritable agent de littérarité, la passion y assure notamment la combinaison des trois registres narratifs fondamentaux : le dramatique, le pathétique et le tragique.
Facteur essentiel de l’économie dramatique, la passion favorise les coups de théâtre (« Dieux ! Quelle apparition surprenante ! J’y trouvai Manon. ») autant que les bouleversements de l’âme : « Quel passage, en effet, de la situation tranquille où j’avais été, aux mouvements tumultueux que je sentais renaître ! » s’écrie Des Grieux dont le trouble appelle une écriture du pathétique : « Je frémissais comme il arrive lorsqu’on se trouve la nuit dans une campagne écartée : on se croit transporté dans un nouvel ordre des choses. » dit Des Grieux. Cet ordre est celui de la sensibilité : « Elle me répéta, pleurant à chaudes larmes. », ou bien « repris -je en versant moi-même des pleurs que je m’efforçai en vain de retenir ». L’émotion s’accompagne efficacement d’une rhétorique de l’indicible recourant soit à l’hyperbole (« plus brillante et plus aimable que je ne l’avais jamais vue »), soit, inversement, au silence : « Je commençai plusieurs fois une réponse que j e n’eus pas la force d’achever ». La passion, enfin, porte en elle le tragique. Des Grieux se dit « effrayé de la facilité avec laquelle il a pu rompre », après deux ans, avec l’amour de Dieu qui l’a conduit à Saint-Sulpice : « Je vais perdre ma fortune et ma réputation pour toi, je le prévois bien. Je lis ma destinée dans tes beaux yeux ». Ce serait là pour Ferdinand Alquié l’exemple-même de « l’inconscience passionnelle » qui dissimule sous le masque du « c’était écrit » « notre refus de prendre conscience de ce que sera le futur et la conséquence de nos actions. »

Passion de la lecture, passion de l’écriture

Ce refus du futur s’abolit dans ce que la romancière Danièle Sallenave appelle « le profond temps des livres ». Comme si face au temps compté, s’ouvrait l’espace du temps raconté. À quoi fait écho Le Clézio pour qui « l’écriture est la seule forme parfaite du temps. Il y avait un début, il y aura une fin. Il y avait un signe, il y aura une signification. » C’est que face aux inaccomplissements de l’existence divisée, la lecture laisse pressentir une existence moins vaine. Et à en croire Julien Gracq, « nous avons moins soif de vérité que de révélation. »
Révélation d’une vie arrachée au hasard, d’une vie maîtrisée et pensée. D’où vient que nous ne nous comprenions que par le détour des œuvres ? C’est que l’expérience des livres renforce notre capacité naturelle d’organiser l’expérience vécue par le langage. Le murmure de la voix narrative met le monde en perspectives et l’offre à la pensée. Que saurions-nous de l’amour et de la haine, si cela n’avait été porté au langage et articulé par la littérature ? Écoutons la voix narrative des premières lignes de La Condition humaine de Malraux : « Les paupières battantes, Tchen découvrait en lui jusqu’à la nausée, non le combattant qu’il attendait mais le sacrificateur. Et pas seulement aux dieux qu’il avait choisis : sous son sacrifice à la révolution grouillait un monde de profondeurs auprès de quoi cette nuit écrasée d’angoisse n’était que clarté. Assassiner n’est pas seulement tuer. » On voit comment le sens naît de la présence conjointe du narrateur qui reste en coulisse, et de son autre, le personnage, qui agit sur la scène du récit. Le trouble de l’expérience réclame le pouvoir clarificateur de l’organisation narrative. « Qu’est-ce que le roman, demande Camus, sinon cet univers où l’action trouve sa forme, où les mots de la fin sont prononcés, les êtres livrés aux êtres. (…) Les personnages courent jusqu’au bout de leur destin : c’est ici que nous perdons leur mesure, car ils finissent alors ce que nous n’achevons jamais. »
Mais si la lecture fait accéder à une vie rédimée, l’écriture peut être vécue comme une déchirure : « Pour ne pas vivre, écrit Flaubert, je me plonge dans l’Art, en désespéré ; je me grise avec de l’encre comme d’autres avec du vin. » Et sa passion d’écrire est souffrance d’écrire : « Quant à ma rage de travail, je la comparerai à une dartre. Je me gratte en criant. C’est à la fois un plaisir et un supplice. » Et encore : « On n’arrive au style que par un labeur atroce, avec une opiniâtreté fanatique et dévouée » face aux « affres de la phrase », aux « supplices de l’assonance » et aux « tortures de la période ». C’est cette difficulté permanente que Kafka exprimera en disant : « Dieu ne veut pas que j’écrive, mais moi je sais que je dois écrire. »
Aujourd’hui, dans l’ébranlement des modèles, des rhétoriques et des esthétiques, demeure qu’il y a un fait et une nécessité d’écrire. Pour Marguerite Duras, nécessité de « la folie de l’écriture. Cet espèce de volcan, (…) l’inconnu qu’on porte en soi », quand écrire, dit-elle, c’est « se trouver dans un trou, au fond d’un trou, dans une solitude quasi-totale et découvrir que seule l’écriture vous sauvera ». Pour Kundera nécessité de « dessiner la carte de l’existence » et de dire au lecteur « les choses sont plus compliquées que tu ne le penses. » Pour tous, la passion d’un « ordre qui n’est pas celui de la vie telle qu’elle parle, mais de la vie dont on parle quand elle n’est pas là. Passion de pouvoir « parler à la place de la vie, dans cet ordre protégé par des signes qu’il faut savoir déchiffrer. »
On doit à Gaëtan Picon (5) d’avoir tenté de saisir le mystère de la passion d’écrire : « Écrire pour se voir en un éclair, comme on craque dans la nuit l’allumette que l’on j ette, et pour s’être vu une fois pour toutes, ne plus avoir à se retourner. Ou écrire pour survivre, pour que demeure l’irréparable que l’on fut.
« Écrire comme l’on panse une plaie : encre opiacée, sédative, hypnose de l’œil noir de l’encre. Écrire pour ouvrir la plaie, pour mieux sentir le mal.
« Écrire comme l’on meurt, comme l’on fait ses comptes, écrire au plus près de la mort, parce qu’on ne trouve les termes de la vie qu’à son terme. Écrire pour ne pas mourir, pour ouvrir un espace qui ne se ferme pas, tant que j’écris. »
« Ouvrir un espace qui ne se ferme pas » : là, sans doute, se rejoignent passion et littérature, toutes deux à la fois élan vers un autre monde, et quête toujours insatisfaite ; toutes deux désir dont l’objet indéfiniment s’éloigne. Il faut relire ce passage d’À l’ombre des jeunes files en fleurs : « Qu’un seul trait réel – le peu qu’on distingue d’une femme vue de loin, ou de dos – nous permette de projeter la Beauté devant nous, nous nous figurons l’avoir reconnue, notre cœur bat, nous pressons le pas et nous resterons touj ours persuadés que c’était elle, pourvu que la femme ait disparu : ce n’est que si nous pouvons la rattraper que nous comprenons notre erreur. »

Un « commerce avec l’obscur »

Et plus loin, évoquant les yeux de l’une des jeunes filles croisées sur la promenade : « Nous sentons que ce qui luit dans ce disque réfléchissant n’est pas dû uniquement à sa composition matérielle ; (…) que c’est elle avec ses désirs, ses sympathies, ses répulsions, son obscure et incessante volonté. (…) Et c’était par conséquent toute sa vie qui m’inspirait du désir ; désir douloureux, parce que je le sentais irréalisable, mais enivrant, parce que ce qui avait été jusque-là ma vie ayant brusquement cessé d’être ma vie totale, n’étant plus qu’une petite partie de l’espace tendu devant moi que je brûlais de couvrir, et qui était fait de la vie de ces jeunes filles, m’offrait ce prolongement, cette multiplication possible de soi-même, qui est le bonheur. » La passion comme la littérature aspirent à ce « prolongement », à cette « multiplication de soi-même » qui combleraient les manques, répareraient les déchirures, répondraient enfin à la quête du sens, seraient, dit Proust, le bonheur. Proust ajoute : « Le plaisir que me donnait la petite bande (…) venait de ce qu’elle avait quelque chose de la fuite des passantes sur la route. Cette fugacité des êtres qui ne sont pas connus de nous (…) nous met dans cet état de poursuite où rien n’arrête plus l’imagination. » C’est bien dans « cet état de poursuite » infinie que nous mettent la passion et les passions, et la littérature avec elles, la littérature comme lieu du dévoilement toujours inachevé du sens, et la passion, selon le mot de Ricoeur, « obscure complaisance au vertige. »
Ainsi les représentations des passions, autant que la vie, nous donnent la possibilité de les connaître ou de les reconnaître dans un système donné. Elles permettent de convertir une expérience sensible en une forme interprétable. Et les arts fabriquent autant les passions, que le réel les voit émerger. Mais opèrent-ils vraiment un éclairement de notre condition ? Proust n’en doute pas pour qui « la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent pleinement vécue, c’est la littérature. » L’œuvre littéraire produit en effet un tremblement de sens et suscite notre appareil d’interprétation symbolique. Mais bien plus que d’une meilleure compréhension de l’existence, il s’agit pour Proust de l’expérience d’une vie unifiée au foyer de l’art.
Cependant, la littérature est-elle cette lumière, ou bien ce « commerce avec l’obscur » où Emmanuel Lévinas voit le rôle de l’art ? « La fonction de l’art, écrit-il, ne consiste-t-elle pas à ne pas comprendre ? (…) L’art est l’événement même de l’obscurcissement, une tombée de la nuit, un envahissement de l’ombre. L’art n’appartient pas à l’ordre de la révélation. » (6). N’en va-t-il pas de même pour la passion ? Fascination de l’ombre et de l’inconnu, « obscure complaisance au vertige », la passion n’espère pas une vérité transcendante, mais présente en puissance, et jusque-là inexprimable. De même qu’Yves Bonnefoy dit du poème qu’il est « Le dire commun porté à sa plus haute intensité. », ne peut-on dire que la passion est l’expérience commune portée à son plus haut degré, capable d’exprimer l’élan et la durée, c’est-à-dire la vie qui était en nous mais que nous ignorions, comme la photographie qui n’a pas encore été plongée dans le bain où elle se révélera ?
J’aimerais conclure en réunissant une dernière fois passion et littérature dans le champ du désir. Littérature et passion vivent l’une et l’autre, l’une à travers l’autre, d’une plénitude toujours désirante. Comment ne pas songer à les placer toutes deux sous le signe de la création poétique dont, on le sait, René Char proclamait qu’elle est « l’amour réalisé du désir demeuré désir. » ?

Bibliographie

1. Balzac, Avant-propos de La Comédie humaine.
2. Paul Ricœur, Philosophie de la volonté, le volontaire et l’involontaire, Aubier, 1950.
3. Nicolas Grimaldi, Le désir et le temps, PUF, 1971.
4. Danièle Sallenave, Le Don des morts, Gallimard, 1991.
5. Gaëtan Picon, La vérité et les mythes, Le Mercure de France, 1979.
6. Emmanuel Lévinas, La réalité et son ombre, in « Les imprévus de l’histoire » Éd. Le Livre de poche, coll. Biblio-essais.

Documents joints

  • Littérature et Passion (PDF - 263 ko)
    Jean-Louis VIDAL - Dans le cadre des 6 èmes journées de l’ANREP - colloque sur la Passion - Paru dans Synapse - n° 235 - mars 2008

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