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L’expertise psychiatrique pénale - 1ere partie

mercredi 12 novembre 2003, par Jean-Louis DESCHAMPS

Communication présentée lors des 2es Journées de l’ANREP,
Avignon, 12 novembre 2003, “Les soins obligés”, en présence du professeur Jean-Marc Elchardus, CHU de Lyon.

Texte revu par le docteur Dominique Barbier,
Membre du Collège Scientifique de la revue Synapse



La notion classique d’expertise pénale


L’expertise pénale est dévalorisée. C’est sans doute à cause d’une banalisation du fait expertal dans de nombreux domaines, et pour le compte de diverses institutions. Perçue jadis comme particulièrement prestigieuse, elle n’est plus qu’une pratique expertale parmi d’autres. Si pour l’opinion, l’expert est un savant qui accomplit, en référence à une science ou un art, des “actes techniques”, le psychiatre la déconcerte car il ne prétend pas être un savant ! Il se présente volontiers comme un professionnel qui fait part de ses incertitudes. Certains le considèrent comme un philosophe ambivalent convoqué par la justice pour disserter sur la vérité de l’Être. Des idéologues voient en lui un moraliste qui s’ignore, dont l’autorité judiciaire attend qu’il mette son discours incertain au service de la répression. D’autres pratiquant une critique ciblée, le suspectent de complaisance à l’égard de tous les laxismes.
Pour les économistes de tous bords, les experts psychiatres constituent un lobby puissant responsable de la coûteuse multiplication des expertises pénales ! La majorité de l’opinion, marquée par “l’obsession sécuritaire”, doute des psychiatres experts, tandis que le législateur leur témoigne une confiance renouvelée. Il a en effet placé l’expertise psychiatrique au centre d’une politique pénale dans un cadre juridique actualisé (loi Méhaignerie en 1994, et Guigou en 1998).
Cette étude a pour but d’interroger les professionnels, à partir d’une pensée juridique accessible au clinicien, sur la validité des concepts philosophiques et moraux qui entrent désormais dans les conclusions de nombreuses expertises psychiatriques pénales.
Ne peut-on considérer qu’il existerait une “trahison clinique” pour des motifs idéologiques que l’on perçoit, au-delà des concepts philosophiques et moraux, dans les discussions et conclusions expertales ?

Un acte technicien

Le particularisme majeur de l’expertise pénale est d’être ordonnée par une juridiction répressive. Le Code de procédure pénale offre la possibilité de recourir à l’expertise pénale, dès lors que se pose devant une juridiction d’instruction ou de jugement un problème d’ordre technique qui nécessite le recours à un expert, c’est-à-dire à une personne d’expérience.
Le recours à l’expertise est nécessité par le fait que les magistrats n’ont pas les moyens, à partir des éléments dont ils disposent, de tirer des conséquences de droit. Lorsqu’il est nécessaire de rechercher si une personne poursuivie présente des troubles psychiatriques, et que par hypothèse les magistrats disposent de données diagnostiques, ils ne sont pas pour autant à même d’en tirer des conséquences de droit. Il leur faut avoir recours à un expert. Ce que les magistrats attendent de l’expert n’est pas identique d’un genre d’expertise pénale à l’autre.
Grosso modo, on peut considérer qu’il existe trois types d’expertises pénales qui correspondent à des finalités différentes :
- l’expertise rétrospective (c’est l’expertise pénale classique) ;
- l’expertise prospective (instituée par la loi Méhaignerie du 1er février 1994) ;
- l’expertise à finalité thérapeutique (instituée par la loi Guigou du 17 juin 1998).
L’expertise pénale est ordonnée par la juridiction de jugement lorsque le problème technique qui se trouve posé n’a pas été réglé auparavant au niveau de la juridiction d’instruction. S’il est nécessaire que l’expert soit une personne d’expérience, cela ne veut pas dire que toute personne d’expérience est à même d’exercer en qualité d’expert.

"La question de la formation de l’expert"

Il est nécessaire que l’expert bénéficie d’une transmission du savoir acquis par ses aînés, ou puisse se prévaloir d’une formation de haut niveau. Les réflexions menées ces dernières années sont à l’origine de plusieurs propositions :
• La possibilité qu’au sein d’un même collège, un expert en formation et un expert confirmé soient associés, pour que le plus jeune soit initié ainsi par son aîné avant son inscription sur les listes. Une telle recommandation paraît de nature à permettre à tout psychiatre de se familiariser avec la pratique de l’expertise au côté d’un collègue plus expérimenté. Au bout d’un an, l’expert en formation pouvait solliciter, s’il le souhaitait, son inscription sur une liste d’experts en connaissance de cause (commission Lempierre, 1996).
• Le développement de l’enseignement de la psychiatrie médico-légale au cours du DES de psychiatrie.
• La création de diplômes universitaires appliqués à l’expertise mentale (G. Dubret).
• La création d’un DESC de psychiatrie légale (P. Cléry-Melin,V. Kovess, et J.-C. Pascal). Le principe de base de l’expertise pénale consiste à ce que “toute juridiction d’instruction ou de jugement, dans le cas où se pose une question d’ordre technique, peut soit à la demande du ministère public, soit d’office, ou à la demande des parties, ordonner une expertise” (ordonnance n°60-529 du 4 juin 1960, article 156 du Code de procédure pénale, premier alinéa).
L’article C 156 de la circulaire générale du 1er mars 1993 insiste sur le caractère technique de l’expertise pénale. Il dispose que : “Cette mesure n’est en effet justifiée que dans le cas où se pose une question technique que la juridiction d’instruction ou de jugement n’est pas à même de trancher”.

"Quelles sont les juridictions d’instruction ou de jugement ?"

• Il s’agit :
- du juge d’instruction ;
- de la chambre d’accusation ;
- du président de la cour d’assises ;
- des tribunaux de police ;
- des tribunaux correctionnels ;
- des cours d’appel ;
- des juridictions spécialisées (juges pour enfants, juridictions militaires, juges de l’application des peines).
• Les juridictions pénales ne font que très rarement appel aux experts lorsqu’elles utilisent des procédures de jugement fondées sur le système de la comparution immédiate. (Il est en effet difficile, la plupart du temps, de mettre en œuvre un processus d’expertise pénale, au sens juridique du terme, et d’en respecter toutes les formes, dans des délais inférieurs à vingt-quatre heures.)
• La chambre criminelle de la Cour de cassation ne peut pas ordonner d’expertises judiciaires car elle ne fait pas partie des juridictions de jugement. Le rôle spécifique de cette juridiction est en effet d’apprécier le droit. En amont de la juridiction de jugement, le problème d’ordre technique, lorsqu’il touche à une problématique psychiatrique, se pose assez souvent d’emblée au niveau du procureur de la République.
Le Parquet doit en effet se déterminer sur la nécessité de poursuivre et sur l’orientation à prendre. Il arrive de manière très courante, lorsqu’il s’agit d’un cas d’infraction où la victime n’est pas particulièrement atteinte, que le procureur classe l’affaire “sans suite”, au vu d’une simple situation de fait, sans recourir au moindre acte technique. La situation de fait qui justifie le classement “sans suite” peut être par exemple un séjour en hôpital psychiatrique.

Les "fausses expertises"

Dans les situations plus graves, où le procureur estime que l’affaire mérite de donner lieu à des poursuites, il peut estimer nécessaire d’ordonner dans le cadre de l’enquête préliminaire des actes techniques. Ceux-ci ne peuvent pas être considérés d’un point de vue juridique comme une expertise pénale car le Parquet n’est pas une juridiction d’instruction ou de jugement. On ne peut en rien les considérer comme des expertises pré-sentencielles. Il s’agit des examens spécialisés en urgence et sur réquisition (en application des articles 60 et 77- 1 du Code de procédure pénale) qui n’entrent pas dans la sphère juridique des expertises pénales. Il est de plus en plus fréquent que ces articles soient utilisés pour inviter des psychiatres, experts ou non, à donner un avis sur un sujet qui se trouve en garde à vue. Ces praticiens doivent savoir que le dispositif applicable pour la réalisation de ces examens s’est rapproché du régime juridique des expertises, mais qu’il ne s’agit pas pour autant d’expertises au sens juridique du terme. Ce qui est attendu du psychiatre requis en application de ces articles est très spécifique si l’on en reste à un premier niveau qui ne pose pas de problèmes. Il s’agit en effet de dire si le sujet nécessite des soins psychiatriques urgents et contre-indiquant la garde à vue. Mais on peut aussi considérer qu’il s’agit là de réaliser une sorte “d’expertise sauvage” destinée à permettre au parquet de mûrir sa décision sur l’opportunité ou non de poursuites.
Les psychiatres qui sont de plus en plus fréquemment requis en urgence pour pratiquer des examens ne se sentent pas très à l’aise pour agir dans le cadre des trois alinéas de l’article 60 du Code de procédure pénale, qui sont ainsi formulés :
• “Sauf si elles sont inscrites sur une des listes prévue à l’article 157, les personnes ainsi appelées prêtent, par écrit, serment d’apporter leur concours à la justice en leur honneur et conscience.
• Les personnes désignées pour procéder aux examens techniques ou scientifiques peuvent procéder à l’ouverture des scellés. Elles en dressent un inventaire et en font mention dans un rapport établi conformément aux dispositions des articles 163 et 166. Elles peuvent communiquer oralement leurs conclusions aux enquêteurs en cas d’urgence.
• Sur instruction du procureur de la République, l’officier de police judiciaire donne connaissance des résultats des examens techniques ou scientifiques aux personnes à l’encontre desquelles il existe des indices faisant présumer qu’elles ont commis ou tenté de commettre une in fraction, ainsi qu’aux victimes”.

De la même manière, certains actes techniques qui sont réalisés après la saisine de la juridiction de jugement ne peuvent être qualifiés juridiquement d’expertise, même s’ils se situent de manière incontestable dans la sphère juridique de l’expertise pénale. C’est le cas par exemple lorsque dans le cadre de l’information, l’officier de police judiciaire commis par le juge procède à une saisie de documents qui sont destinés à être transmis sous scellés aux experts.

Une démarche médicale spécialisée

Le médecin psychiatre qui pratique l’expertise psychiatrique pénale accompli un acte auquel la formulation de l’article 156 du Code de procédure pénale permet de donner la qualification d’acte “technique”. Cet acte établit un trait d’union entre deux mondes : celui des professionnels du droit pénal, et celui des professionnels de la psychiatrie.
Michel Foucault considérait que l’expertise pénale psychiatrique est moins un trait d’union qu’un espace qui n’est plus homogène au droit ni à la clinique. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les professionnels du droit pénal, et les professionnels de la clinique psychiatrique, une fois mis en relation dans cet espace hétérogène, aient parfois du mal à se comprendre. Citons en exemple les incompréhensions réciproques, sur la définition qu’il convient de donner au concept de “dangerosité”.
Si l’expertise psychiatrique pénale peut se définir en droit comme un acte “technique”, les auteurs de la doctrine médicale préfèrent définir le concept comme une “démarche médicale spécialisée”. Cette dernière notion a le mérite de rappeler aux médecins experts que la pratique expertale ne peut ignorer le Code de déontologie médicale, et plus particulièrement les articles 33 et 105 de ce Code. l’expertise psychiatrique pénale “a les caractéristiques d’une démarche médicale spécialisée” ( 1). N’oublions pas que le psychiatre expert est aussi conduit à examiner les victimes comme les auteurs de l’infraction.
Par exemple dans le cas des affaires d’agressions sexuelles, les auteurs de la doctrine médicale, comme les magistrats, considèrent qu’il est souhaitable que l’auteur de l’infraction et sa victime soient examinés dans une démarche d’ensemble par le même expert.
Pour Daniel Zagury (2) l’expertise psychiatrique pénale est une démarche technicienne dont il donne le contenu :“La démarche expertale implique un examen clinique qui aboutit à un diagnostic, puis une analyse rétrospective de l’état mental au moment de l’action, en fin l’évaluation du rapport entre l’état mental et les faits”.
L’expertise psychiatrique pénale a pour finalité d’aider le juge à faire émerger la vérité. C’est parce que l’expertise pénale a cette finalité que la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré dans un arrêt (du 10 janvier 1967, Bull. 11. D 1967, 246, note Doll) que l’expert a l’obligation de signaler au juge d’instruction ou à la juridiction de jugement commettante des faits qui lui paraîtraient suspects à l’occasion de l’examen des pièces qui lui sont remises aux fins d’expertise. Dans le cas de l’expertise psychiatrique pénale, des révélations, ou des confidences, peuvent être reçues par le psychiatre dans le cadre de l’examen du sujet.
L’expertise psychiatrique demeure à cet égard une démarche médicale spécialisée qui n’est pas dispensée du respect des règles du Code de déontologie médicale. “L’implication du psychiatre confronté à des révélations faites dans l’intimité de sa relation expertale posera le problème de l’appréciation des limites déontologiques de sa mission” ( 1). Si l’obligation de signalement de faits suspects ne peut être ignorée par l’expert, il ne rentre pas dans sa mission, du moins en droit français, d’intervenir dans la recherche des preuves et des aveux. L’expert doit savoir que les confidences qu’il recueillera, figureront le cas échéant dans son rapport public, et seront peut-être de nature à réorienter la procédure. (Il est d’ailleurs précisé dans l’arrêt du 10 janvier 1967 que si les faits signalés par l’expert sont de nature à constituer d’autres infractions que celles qui avaient été visées dans la commission d’expert, il appartient au magistrat de prendre toutes mesures utiles, et le cas échéant d’étendre la mission de l’expert.)
Lorsque la vérité est patente, il n’est aucunement besoin d’actes techniciens, et l’expertise pénale est sans intérêt. Il existe en conséquence des cas où les magistrats estiment inutile de commettre un psychiatre parce que la pleine responsabilité de la personne poursuivie leur paraît évidente. La désignation d’un expert psychiatre dans une affaire pénale n’est donc pas systématique. Il existe cependant une exception d’importance : les affaires criminelles.
Le traitement judiciaire des affaires criminelles comporte systématiquement une expertise psychiatrique. L’expertise est le plus souvent ordonnée par le juge d’instruction. L’obligation d’y recourir trouve son origine historique dans la nécessité perçue par les cours d’assises de se prononcer sur l’éventuelle existence d’un trouble mental ayant aboli le discernement. Dans les premiers temps de l’application de l’article 64 de l’ancien Code pénal, l’obligation de recourir à l’expertise en matière criminelle n’existait pas. “En France, nous savons que les expertises pénales ont eu bien du mal à devenir courantes, même quand les magistrats ont cessé de craindre que les médecins voulussent usurper leur magistère.” (3) Il y eut un cas célèbre à la fin du XIXe siècle où le refus de tout éclairage expertal fut écarté de manière consensuelle par l’accusation, les juges de la cour d’assises, et l’accusé lui-même. Il s’agit de l’affaire Casario, du nom de l’anarchiste qui était accusé de l’assassinat du président de la République Sadi Carnot. L’ensemble des acteurs de cette procédure a refusé tout au long du procès le principe même du recours à un expert. Le président de la Cour considéra que la vérité était patente. Casario, dit-il “jouit, au point de vue du raisonnement, de facultés ordinaires, sinon au-dessus de l’ordinaire”. Il faut noter en ce qui concerne l’application du premier alinéa de l’article 122- 1 de l’actuel Code pénal, que la reconnaissance de l’existence d’un trouble mental ayant aboli le discernement est devenue relativement rare. La responsabilisation du malade mental apparaît aujourd’hui comme la conclusion la plus courante d’une expertise psychiatrique pénale.
L’expertise pénale est un acte technicien dont la pratique est régie par des règles précises imposées par le Code de procédure pénale. Ces règles concernent la désignation de l’expert, le serment que prête l’expert, l’objet de la mission d’expertise, et le déroulement des opérations d’expertise proprement dites. Il faut cependant observer que le Code de procédure pénale comporte des insuffisances et qu’il est loin de cerner toutes les problématiques de l’expertise pénale. Les circulaires ainsi que les écrits des auteurs de la doctrine proposent souvent des indications de bons sens. C’est ainsi par exemple qu’ils recommandent aux psychiatres de répondre avec précision aux questions posées par l’instance requérante, ou de ne pas évoquer dans leur rapport des données qui n’ont pas trait à la mission qu’ils ont reçue de l’instance requérante.
Dans le passé, certaines circulaires ont formulé des recommandations particulièrement hardies, compte tenu de leur époque, sur les bonnes pratiques en matière de démarche expertales. Ce fut notamment le cas d’une circulaire de 1905 : la circulaire Chaumier. Daniel Zagury n’hésite pas à qualifier ce texte “d’ancêtre du deuxième alinéa de l’article 122-1 du Code pénal” (4). Cette circulaire a amorcé en effet la sortie de la bipartition instituée par l’article 64 du Code pénal. La circulaire Chaumier précisait en effet :“À côté des aliénés proprement dits, on rencontre des dégénérés, des individus soumis à des impulsions morbides momentanées, ou atteints d’anomalies mentales assez marquées pour justifier à leur égard une certaine modération dans l’application de la loi. Il importe que l’expert soit mis en demeure d’indiquer avec la plus grande netteté possible, dans quelle mesure l’inculpé était, au moment de l’in fraction responsable de l’acte qui lui est imputé”. La circulaire Chaumier a préparé dès 1905 le terrain pour une mutation du droit positif. Cette mutation n’a eu lieu qu’en 1992, lorsque le législateur formula dans la loi n°92-683 du 22 juillet un dispositif dont Daumezon avait pressenti dès 1980, l’architecture juridique. Le schéma de l’article 122- 1 de l’actuel Code pénal était perceptible, il apparaissait comme la conséquence juridique incontournable du “glissement de la contre-indication à l’action judiciaire à l’indication d’un traitement pénal du sujet”.

Difficultés spécifiques

Il existe un concept classique de l’expertise psychiatrique pénale, présenté par certains auteurs comme archaïque, dans la mesure où il remonte au XIXe siècle. Les mutations sémantiques en démontrent l’évolution. La notion originaire fut celle de l’expertise mentale. L’expertise médico-psychologique a pris la suite (la loi n°93-2 du 4 janvier 1993 a formulé le concept actuel). L’expertise psychiatrique pénale n’avait à l’origine qu’une seule finalité, celle d’aider le juge à apprécier la responsabilité du sujet, et donner un éclairage sur l’accessibilité de la personne concernée à la sanction pénale. (Il est important de noter au passage que dès les origines de la pratique expertale, il existait un pré-requis, en matière de formation des psychiatres experts : la connaissance des modalités d’application des peines.)
Le concept originaire a dérivé progressivement vers l’appréciation concomitante de la dangerosité. Aujourd’hui la pratique expertale pousse le concept bien au-delà. Il n’est pas rare que les psychiatres évoquent la possibilité d’un traitement. Ils vont même jusqu’à envisager la nature de celui-ci et à indiquer les voies qui leur paraissent possibles pour l’insertion sociale du sujet. Enfin, dans la mesure où l’évolution de la pratique expertale conduit de plus en plus à la “responsabilisation” des malades mentaux, on peut considérer que “le psychiatre et le psychologue sont convoqués pour donner du sens au châtiment” (5).
Des problématiques nouvelles ont fait leur apparition en même temps que les nouveaux types d’expertise qui ont été instituées par le législateur à partir de la loi du 1er février 1994 (loi n°94-89), dite “loi Méhaignerie”, suivie par la loi Guigou du 17 juin 1998 (loi n°98-468), relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs.
Ces deux lois ont fait sortir l’expertise pénale psychiatrique du classicisme et de l’homogénéité. Eu égard à l’évolution de la pratique expertale classique qui évoque très souvent aujourd’hui la possibilité d’un traitement, les professionnels du droit pénal ont eu beaucoup de mal à comprendre les critiques émises par les psychiatres sur le dispositif de la loi Guigou. Ce dispositif vise en effet à impliquer les psychiatres experts dans la définition d’une stratégie de soins à l’égard des auteurs d’infractions sexuelles, et à son indication. Les concepts de l’expertise psychiatrique pénale qui se sont succédé dans le temps n’ont cessé d’être l’objet de critiques, et de susciter controverses et polémiques, tant pour les professionnels concernés que dans les divers courants de la société. Derrière les controverses et les polémiques qui portent sur l’expertise psychiatrique pénale se cachent des enjeux médico-judiciaires théoriques qui ne sont pas sans retombées tant sur la définition juridique, que sur la manière dont sont appliquées les règles de droit commun. Toujours est-il qu’on peut repérer des points communs aux divers types d’expertises :
- le psychiatre est d’abord sur le plan juridique un “expert”, c’est-à-dire une personne d’expérience.
- l’expert est l’émanation du psychiatre qu’il est fondamentalement ;
- les expertises psychiatriques pénales permettent une articulation médicojudiciaire ;
- les expertises doivent être réalisées dans un délai très rapide ;
- le psychiatre est confronté avec une personne qui va faire l’objet d’une décision de la part d’une juridiction pénale ;
- l’éthique de l’expert doit s’en tenir aux rapports de la clinique et de la loi ;
- c’est sur son aptitude à développer en termes compréhensibles, c’est-à-dire sans jargon, que l’expert est attendu par la juridiction pénale ;
- le rapport d’expertise est présenté au sujet ;
- la juridiction pénale n’est pas tenue par les conclusions de l’expert ;
- il est interdit au psychiatre traitant d’être l’expert de son patient.
S’agissant du dernier point, le fait que l’expert n’est pas le psychiatre traitant ne signifie pas qu’il ne peut le devenir, dès lors que la situation judiciaire du sujet est réglée. Pierre Lamothe développe ce point de vue de manière convaincante :“Il est évident que l’expert ne peut pas être en même temps thérapeute et évaluateur, la plupart des psychiatres ont fait l’expérience d’une demande ultérieure d’un patient qui avait, à la faveur de la rencontre expertale, vu sa situation et lui-même d’une autre façon et souhaitait, une fois réglée sa situation judiciaire, poursuivre avec la même personne dans un autre cadre et un autre but. Des thérapies très fructueuses ont pu souvent être conduites à partir de ce changement” (6).

Conclusion provisoire

L’expertise psychiatrique au sens classique appartient au champ expertal, mais aussi au champ médical. Elle est ordonnée par une juridiction répressive qui s’interroge sur l’état des facultés mentales de la personne poursuivie afin de déterminer la responsabilité ou l’irresponsabilité pénale de l’intéressé.
Quel était le discernement de la personne au moment de la réalisation de l’acte ? Ce qui en démontre sa valeur essentiellement rétrospective. L’interrogation porte sur la réalisation d’un acte qui appartient au passé. L’expertise psychiatrique pénale classique est centrée sur l’état mental du sujet au moment des faits.

Bibliographie

1. Albernhe T., Tyrode Y. Législation en santé mentale. Tome III, Duphar-Upjohn, 1994 : 443. Zagury D. Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’infractions sexuelles. John Libbey, Eurotext, décembre 2001 : 20.
2. Georges Lantéri-Laura, Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’infractions sexuelles, John-Libbey, Eurotext, décembre 2001, page 8.
3. Zagury D. Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’infractions sexuelles. John Libbey, Eurotext, décembre 2001 : 19.
4. Zagury D. Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’infractions sexuelles. John Libbey, Eurotext, décembre 2001 : 22.
5. Lamothe P. Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’infractions sexuelles. John Libbey, Eurotext, décembre 2001 : 362.

Pour en savoir plus

• Barbier D. La dangerosité, approche pénale et psychiatrique. Éd. Privat, Toulouse, 199 1 ; 160 p.
• Barbier D. Guide de l’Intervention en Santé Mentale. Éd. Dunod, Paris, 1993 ; 330 p.

Documents joints

  • Expertise pénale 1 (PDF - 72.2 ko)
    Expertise pénale - 1ere partie - par J.-L. DESCHAMPS - paru dans Synapse - n° 204 - avril 2004

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