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L’adoption internationale

octobre 2006, par I. POUEY

Texte sollicité par le docteur Dominique Barbier, président de l’Association nationale de recherche et d’étude en psychiatrie, suite à la conférence présentée à Aix-en-Provence dans le cadre du groupe de réflexion "Enfance et résilience" sous la direction de Boris Cyrulnik

Au centre d’enjeux importants où se mêlent les éléments politiques, juridiques, affectifs et moraux l’adoption internationale est devenue un véritable phénomène de société. La France est le deuxième pays d’accueil après les États-Unis d’Amérique : de 1 000 enfants accueillis en 1979, elle est passée à 3 592 enfants en 1999, puis 3 995 enfants en 2003 et 4079 enfants en 2004.

L’adoption internationale représente 4/5 des adoptions réalisées en France impliquant plus de 70 pays dits d’origine des enfants. Sur ces périodes on constate une évolution notable dans le "classement" de ces pays d’origine. Ainsi, en 1998 le Vietnam représentait à lui seul un tiers des adoptions prononcées à l’étranger et 731 enfants en avril 1999 avant la fermeture de ce pays. Pour l’année 2004, 507 des enfants adoptés à l’étranger sont nés en Haïti, 491 en Chine et 445 en Russie pour les trois principaux pays d’origine (statistiques 2004, ministère des Affaires étrangères).

L’autre caractéristique de l’adoption internationale française est le recours majoritaire par les adoptants à la "voie individuelle" consistant à diligenter eux-mêmes les procédures d’adoption à l’étranger sans être assistés ou représentés par des organismes habilités pour l’adoption.
Ce phénomène est une spécificité française comparée aux autres pays européens et sans prétendre expliquer cette particularité, il est indéniable que celle-ci a de nombreuses implications dans notre pays sur la façon dont est considérée l’adoption internationale.
La France est ainsi aujourd’hui essentiellement un pays d’adoptants mais elle a vocation à devenir un pays d’adoptés.

UN PAYS D’ADOPTANTS

Prenant conscience du développement de l’adoption internationale, les pouvoirs publics se sont efforcés depuis plusieurs années de faciliter l’adoption et encore tout récemment avec la loi n° 2005-744 du 4 juillet 2005 portant réforme de l’adoption : réforme de la procédure d’agrément, modification des conditions de l’abandon des enfants nés en France et aide aux candidats dans leurs démarches à l’étranger.
Si le discours récurrent en la matière est celui du parcours du combattant, il semble opportun de souligner que la partie la plus longue est peut-être celle qui ne figure dans aucun dispositif législatif, à savoir la maturation du projet en fonction de l’histoire personnelle des adoptants.
Juridiquement, les candidats à l’adoption doivent au préalable obtenir un agrément délivré par le service de l’aide sociale à l’enfance placé sous l’autorité du président du conseil général du département dans lequel ils résident. Cette phase dite administrative permet de contrôler l’aptitude des requérants à accueillir un enfant et comprend une évaluation sociale et psychologique.
L’agrément doit être exprès (document écrit) et intervenir dans les 9 mois à dater de la confirmation de la demande. Ce délai de 9 mois dont la durée a été volontairement choisie par référence à la durée de la grossesse laisse perplexe y compris le juriste dès lors que la démarche des candidats s’inscrit dans un projet de parentalité différent.
Des progrès ont été accomplis (par la loi n° 96-604 du 5 juillet 1996 relative à l’adoption et le décret n° 98-771 du 1er septembre 1998 relatif à l’agrément des personnes qui souhaitent adopter un pupille de l’État ou un enfant étranger) dans les modalités de délivrance de l’agrément. Ils portent sur le respect des délais d’instruction des dossiers, la motivation obligatoire des refus d’agrément et plus particulièrement la validité nationale de l’agrément (évitant aux candidats, en cas de déménagement, de recommencer l’intégralité des démarches dans un autre département).

La réforme de l’adoption

Très récemment la loi n° 2005-744 du 4 juillet 2005 portant réforme de l’adoption a modifié les dispositions du code de l’action sociale relative à la délivrance de l’agrément en instituant notamment une harmonisation de la forme des agréments.
Cette réforme a pour but de renforcer la valeur nationale de celui-ci, mais surtout de permettre un traitement plus égalitaire des postulants à l’étranger en assurant une meilleure lisibilité de ce document dans les pays d’origine des enfants, où ils sont systématiquement exigés (1,2).
Cependant l’obtention de ce précieux sésame, même s’il est un préalable indispensable, n’est que la première étape de l’adoption et les 25 000 personnes actuellement titulaires de cet agrément (environ 8 000 agréments sont délivrés par an d’une durée de validité de 5 ans) le savent : la délivrance de document n’entraîne pas l’attribution d’un enfant.
En effet les enfants adoptables en France sont ceux dont les parents biologiques ont consenti à l’adoption (ce cas recouvre majoritairement des enfants remis à la naissance après accouchement secret, plus rarement avec une filiation connue et un consentement et quelques enfants plus âgés pour lesquels les parents ont consenti) ; les enfants déclarés abandonnés par voie judiciaire (c’est-à-dire dont les parents biologiques se sont vu retirer tous les droits d’autorité parentale, généralement âgés de plus de cinq ans, ils sont souvent adoptés par leur famille d’accueil) et les orphelins (peu de cas en France, les enfants étant en général accueillis par la famille).

La France est le pays où il y a le moins d’enfants adoptables

Or la France est le pays où il y a le moins d’enfants adoptables, autre singularité par rapport à nos voisins européens (40 enfants par an sont déclarés abandonnés au sens juridique du terme contre 3 500 au Royaume-Uni et 1 600 en Italie). Le nombre d’enfants déclarés judiciairement abandonnés n’a jamais été très important, mais il a diminué de moitié entre 1981 et 2001. Situation qui peut s’expliquer par l’attitude des juges et des travailleurs sociaux qui ont tendance à privilégier les liens biologiques (2).
Aussi le législateur guidé par l’ambition d’accroître le nombre d’adoptions a modifié le texte de l’article 350 du code civil qui dans sa rédaction datant de la loi du 5 juillet 1996 disposait que l’abandon d’un enfant ne pouvait être judiciairement déclaré dans le cas de grande détresse des parents. C’est cette expression de "grande détresse" qui a été supprimée, lors des débats parlementaires. Il a été constaté qu’en pratique le délai de délaissement de parents d’au moins un an exigé par la loi avant l’introduction de la requête devant le tribunal est en réalité beaucoup plus long.
Désormais seul le critère objectif de délaissement prolongé de l’enfant par ses parents peut être retenu pour statuer sur la déclaration d’abandon. Le législateur a ainsi pris position dans un débat très difficile et très passionnel qui dure depuis 30 ans opposant d’un côté les familles adoptives à la recherche du plus grand nombre d’enfants adoptables et les associations œuvrant au contact de populations défavorisées (ATD Quart-Monde...) qui soulignent que les carences éducatives de familles ne doivent pas être confondues avec un désintérêt volontaire et persistant (3).
Enfin le législateur prenant acte des difficultés rencontrées par les adoptants sur le terrain et de la part majoritaire de l’adoption internationale a prévu un meilleur accompagnement des candidats qui accomplissent des démarches à l’étranger.

La mission de l’adoption internationale

Une première étape a été la création de la mission de l’adoption internationale placée sous l’autorité du ministère des Affaires étrangères. Elle a permis la création "d’un guichet unique" pour les candidats à l’adoption et a privilégié un accès plus facile à l’information notamment par la création dès le mois de mai 1998 d’un site Internet destiné aux candidats à l’adoption (http://www.diplomatie.fr/mai).
La seconde étape a été la ratification par la France de la convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale. Entrée en vigueur en France le 1er octobre 1998, cette convention a pour objectif principal de créer une véritable éthique de l’adoption internationale et repose sur quatre principes fondamentaux :
- l’intérêt supérieur de l’enfant est la considération primordiale, "il ne s’agit pas de donner un enfant à une famille mais une famille à un enfant" ;
- le principe de subsidiarité qui signifie que l’adoption internationale ne doit être envisagée que lorsque toutes les autres solutions nationales de placement de l’enfant ont été épuisées ;
- le passage obligé par un intermédiaire autorisé et habilité, ce qui revient à prohiber les démarches directes auprès des familles biologiques ;
- enfin la prohibition de profits indus afin de prévenir l’enlèvement, la vente ou la traite d’enfants.
Au 1er mars 2001, cette convention était en vigueur dans 41 États, au 20 janvier 2006 dans 68 pays (comprenant à la fois des pays d’origine des enfants et des pays d’accueil). Ce succès s’explique par les mécanismes mêmes de la convention qui a pour effet de ne présenter aux candidats à l’adoption que des enfants dont l’adop-tabilité a été préalablement établie dans le pays d’origine et par la reconnaissance facilitée dans le pays d’accueil de l’adoption, simplifiant ainsi les démarches à accomplir.
Estimant que l’organisation interne française de l’adoption internationale ne permettait pas de faire face aux besoins des ménages français et afin d’augmenter, dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, le nombre des adoptions à l’étranger, le législateur a créé l’Agence française de l’adoption (loi n° 2005-744 du 4juillet 2005).

L’Agence française de l’adoption

Inaugurée le 18 mai denier, celle-ci a pour objet d’informer, de conseiller et d’aider les adoptants, elle aura également pour vocation de servir d’intermédiaire dans les pays étrangers (parties ou non à la convention de La Haye) pour les candidats à l’adoption qui le souhaitent.
Cette création est le reflet du phénomène de société que représente l’adoption et de l’investissement très fort de l’État dans cette politique familiale qui repose à l’origine sur un choix personnel (2,4).

UN PAYS D’ADOPTÉS

Cette politique très volontariste est celle d’un pays d’adoptants, mais il ne semble pas que la réflexion soit menée dans une perspective à moyen terme où la France sera aussi assez majoritairement un pays d’adoptés.
On peut estimer à au moins 30 000 enfants le nombre d’enfants adoptés à l’étranger depuis 1998 ; compte tenu de leur âge lors de leur arrivée en France, ceux-ci ne seront pas en mesure avant quelques années de faire valoir un autre point de vue.
La naissance à l’étranger de ces enfants emporte plusieurs conséquences tant en matière de nationalité, de nom, de suivi et de recherche des origines.
Très souvent les candidats à l’adoption internationale souhaitent adopter un enfant le plus jeune possible et le faire bénéficier d’une adoption plénière afin de l’intégrer pleinement dans sa nouvelle vie comme un enfant biologique.

Le droit français connaît deux adoptions

L’adoption simple ajoute une filiation adoptive à la filiation biologique, l’autorité parentale étant exercée par l’adoptant.
L’adoption plénière supprime définitivement la filiation biologique pour la remplacer par la filiation adoptive (l’acte de naissance d’origine est même supprimé à l’état civil).

Un certain nombre de pays connaissent eux aussi deux formes d’adoption, mais peu ont dans leur dispositif législatif l’équivalent de notre adoption plénière. Par ailleurs ce système d’équivalence est organisé par la convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale ; il prend la forme d’une sorte de passeport attaché à la décision étrangère d’adoption et conférant à celle-ci la même valeur dans tous les pays membres.
Dans les pays non membres de la convention de La Haye, les parents adoptifs qui ont bénéficié à l’étranger d’une décision d’adoption prononcée par le juge étranger (même lorsqu’elle s’appelle localement adoption plénière) ne sont, le plus souvent, au regard du droit français que les adoptants simples de leur enfant.
Il leur est alors possible de demander au juge français d’apprécier la portée du consentement à l’adoption étranger afin d’évaluer in concreto si ce consentement n’est pas équivalent à un acquiescement à une rupture définitive et irrévocable avec la famille biologique.
Cette volonté est assez facile à interpréter lorsque l’enfant est placé en institution ou se trouve dans une situation juridique telle qu’aucun lien de filiation biologique ne peut se renouer (enfant sans filiation connue ou orphelin, ou dont les parents ont été déchus de l’autorité parentale). Cette conversion est beaucoup plus délicate lorsque le consentement a été recueilli auprès de parents biologiques pas toujours à même de mesurer la portée juridique de leur assentiment ; et ce, a fortiori dans des pays où la notion même de rupture définitive avec la famille biologique n’existe pas dans la législation (et donc bien souvent dans les rapports familiaux). Cette conversion, lorsqu’elle est accordée par le tribunal français, est enregistrée à l’état civil français et l’enfant étranger adopté plénièrement par un couple d’adoptants français a alors un nouvel acte de naissance de français né à l’étranger ne portant pas mention de son adoption. Cette reconstitution d’état civil ne pose pas de difficultés en droit français, d’autant plus que les adoptants sont parfaitement conscients de la nécessité de révéler à l’enfant la réalité de ses origines.

La conversion de l’adoption

Bien évidemment, en dehors de pays parties à la convention de La Haye pour lesquels la décision étrangère est directement transcrite à l’état civil français, cette conversion de l’adoption n’est pas portée à la connaissance du pays d’origine, qui ne l’enregistre pas sur ses propres registres d’état civil. Le plus souvent, le pays d’origine de l’enfant ne mentionne en marge de son acte de naissance local que la décision locale d’adoption.
Or cet hiatus a deux conséquences juridiques d’importance. En droit français, l’enfant adopté perd l’usage du patronyme de ses parents biologiques qui est remplacé par celui de ses parents adoptifs et il acquiert la nationalité française (dès lors que les adoptants sont français).
Mais au regard de l’état civil de son pays d’origine, la mention en marge de son acte de naissance de son adoption n’entraîne pas systématiquement la modification de son état civil. Ainsi actuellement un nombre non négligeable d’adoptés a un double état civil et une double nationalité. Sur ce point la France reconnaît la faculté pour ses ressortissants d’être bi ou tri-nationaux, il n’en est pas de même pour tous les pays d’origine des enfants.
D’ores et déjà, certains parents sont confrontés à cette double identité, notamment lorsqu’ils retournent dans le pays d’origine de l’enfant et que celui-ci ne peut être inscrit sur leur passeport français, mais doit présenter son passeport d’origine sous son identité post-adoption locale.
Cette question deviendra rapidement cruciale notamment pour les garçons ayant atteint dans leur pays d’origine l’âge du service militaire et ce d’autant plus que la France n’a plus de service militaire obligatoire. En outre, en l’état des textes des pays d’origine il n’est pas toujours prévu de déchéance de nationalité et lorsque la procédure existe, elle est parfois très compliquée à mettre en œuvre.
Ce lien toujours existant avec le pays d’origine malgré le prononcé de l’adoption plénière en France se retrouve à travers les dispositifs du suivi post-adoption. La loi n° 2005-744 du 4 juillet 2005 portant réforme de l’adoption a modifié le dispositif d’accompagnement de l’enfant adopté afin de se conformer aux exigences de l’adoption internationale. Ce suivi est imposé et peut être prolongé (au-delà du prononcé de l’adoption plénière ou de la transcription de la décision étrangère) si l’adoptant le demande notamment "s’il s’y est engagé envers l’État d’origine de l’enfant" (nouvel article L.225-16 du code de l’action sociale et des familles). Cette prolongation du suivi est de droit lorsque l’adoptant en fait la demande (2).

L’obligation de suivi

En effet plusieurs pays d’origine prévoient dans leur législation interne une obligation de suivi à laquelle s’engagent les adoptants lors de la procédure locale. Au-delà du respect des engagements individuels pris par les adoptants, ayant une valeur morale et indispensable dans un projet d’adoption de plusieurs enfants dans le même pays, c’est la pérennité du processus d’adoption internationale qui est en jeu.
Or, à travers le légitime souci des pays d’origine de s’assurer du devenir des enfants confiés en adoption, se pose l’ambiguïté de cet engagement de maintenir un lien avec le pays d’origine de l’enfant alors qu’une adoption plénière (donc une rupture définitive des liens) a été prononcée et la nationalité française acquise.
Il faut être très vigilant sur l’utilisation qui peut être faite de ce suivi parfois jusqu’à la majorité, sur l’enregistrement de ces données, leur conservation et leur éventuelle exploitation par les pays d’origine.
Ainsi, au-delà d’une volonté politique tendant à favoriser des projets individuels d’adoption, une réflexion d’ensemble sur les conséquences juridiques s’impose.

RÉFÉRENCES

1.Ton Nu Lan A. "Les dispositions de la loi n° 2005-744 du 4 juillet 2005 relatives à l’agrément et à l’accompagnement des candidats à l’adoption". A. J. Famille, octobre 2005, p. 345.
2. Poisson-Droncourt E. "Une loi nouvelle sur l’adoption". Chron., décembre 2005, p. 2028.
3. Salvage-Gerest P. "Genèse d’une quatrième réforme, ou l’introuvable article 350, alinéa 1 du code civil". A. J. Famille, octobre 2005, p. 350.
4. Le Boursicot M.-C."La création de l’Agence française de l’adoption". A. J. Famille, octobre 2005, p. 341.

Documents joints

  • Adoption (PDF - 228.8 ko)
    L’adoption internationale - par I. POUEY - paru dans Synapse - n° 228 - octobre 2006

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