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Compte-rendu des premières journées de l’ANREP

dimanche 20 octobre 2002, par Dominique BARBIER

Compte-rendu des premières journées de l’ANREP,
Colloque sur les rapports Médecine, Psychiatrie et Justice
du 20 octobre 2002 en AVIGNON

En introduisant ces journées, le docteur Dominique Barbier, président de l’ANREP a évoqué les rapports entre la jalousie œdipienne et la loi.

• L’Œdipe, c’est aussi des frères, des sœurs. Et cet aspect structural de la jalousie œdipienne est souvent laissé de côté au prétexte que frères et sœurs seraient sur le même pied d’égalité, vis-à-vis de l’amour distributif de leurs parents. Le jaloux se sentira exclu dès lors que l’autre vit et jouit hors de sa présence, de ce qui en lui est traversé de vie. Il ne respecte pas le temps qui creuse le désir et le marque du sceau de la brûlure. Le jaloux n’attend pas, il ne situe la rencontre que dans l’imaginaire et si elle a lieu dans le réel, il n’en ressentira que tristesse et mise à l’écart.
En 1984, Milos Forman a donné un excellent aperçu de ce qu’est la jalousie dans son film Amadeus.Antonio Salieri, compositeur officiel, ressent comme violence vitale, l’arrivée en 1781 d’un concurrent jeune et orgueilleux, Wolfgang Amadeus Mozart à la cour de l’empereur Joseph. Dès lors, il s’acharnera à détruire la carrière du petit génie. Le jaloux s’en prend jusqu’à l’existence de l’autre.
• La justice est fondée sur un unique précepte :“Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse”. Elle se dresse donc comme rempart contre la jalousie en faisant de l’autre mon semblable et non plus ma proie. Elle constitue à la fois un idéal, une norme positive et une institution.Aristote distingue trois formes de justice : la justice commutative qui préside aux échanges et qui a pour règle l’égalité mathématique, la justice distributive qui établit une égalité de rapports entre quatre termes : deux choses et deux personnes (le bon candidat aura une bonne note, le mauvais une mauvaise) et la justice répressive où la gravité des peines est proportionnelle à la gravité du dommage et à la culpabilité de l’auteur de l’infraction.
Dans le Gorgias, Platon développe l’idée que les esclaves ne font qu’exprimer au grand jour leur faiblesse en réclamant la justice. Pour lui, nul n’est juste volontairement, mais seulement par contrainte. L’homme n’est juste que parce qu’il a peur d’être surpris par qui lui est supérieur : son père, son chef, son dieu ou le juge. Cette justice par contrainte extérieure n’a plus rien d’un idéal lointain. Son présent immédiat s’impose comme frein à la jalousie envieuse à l’égard du voisin. Dans la république, Glaucon relate le mythe de Gygès : l’homme qui devient invisible en tournant le chaton d’une bague qu’il a dérobée sur le cadavre d’un homme.
Rousseau dans ses “fragments politiques” démontre que la justice n’est qu’un simulacre dont on se sert contre les plus faibles et les plus pauvres. Pour les tenants du scepticisme, la justice n’est qu’une idée subjective que chaque individu définit à sa manière, ce qui explique que la justice est sans effets sur la réalité. Ce qui permet à Nietzsche d’accentuer le radicalisme de la critique dans la Généalogie de la morale lorsqu’il affirme que la justice est une illusion entretenue par les hommes qui ne veulent pas analyser la source de leur pouvoir et de leur savoir. Pour lui, ce que la masse dit de la justice ne témoigne que de sa volonté de vivre dans des conditions moins dures. Kant, plutôt que d’accepter que la justice ne puisse être définie positivement, plaidera pour qu’elle soit une idée régulatrice. Ce qui lui évitera de dire ce qu’elle n’est pas. Malgré cela des questions demeurent : toutes les inégalités sont-elles des injustices ? Tout droit à la différence est-il caution d’un privilège ? L’attrait pour la justice n’est-il que la crainte de subir l’injustice ? Ce qui est égal est-il nécessairement juste ? Le besoin de justice n’est-il que la jalousie des déshérités ? Peut-on rester juste quand les autres ne le sont pas ? Avons-nous le devoir de défendre notre droit ?
• Or la loi de 1838 va créer l’“esprit de la Restauration”. Certes la Restauration au sens propre est un régime politique qui a duré d’avril 1814 à juillet 1830. Mais Louis-Philippe, proclamé lieutenant général du royaume deviendra roi des Français après la révision de la Charte (du 7 au 9 août 1830). Souverain de la monarchie de juillet, cet homme confiera, ne l’oublions pas, à Guizot le soin d’établir une politique autoritaire pendant 8 ans, jusqu’à la révolution de 1848.
Nul conteste alors que la loi du 30 juin 1838 sur les aliénés ne soit une loi sécuritaire et d’exception. Elle fonde l’acceptation par le corps des médecins des asiles de la notion d’ordre public associé à la sûreté des personnes, à l’origine du placement d’office. Cette loi de justice annexe toute la psychiatrie publique naissante dans la contention du trouble de l’ordre public, nouveau paradigme fondateur de l’enfermement. Le psychiatre est dès lors l’allié de Louis-Philippe et de l’esprit restaurateur d’un ordre social, qui assimile la critique économico-politique au bruit qui dérange le transfert de capital et la bonification des intérêts et surtout la folie à l’absence de rentabilité.
Ne confond-on pas ce qui est légal et ce qui est juste ?
Après cette loi d’exception qu’est la loi sur les aliénés, persiste tout un courant normalisateur et garant de l’ordre social dans une sorte d’hygiénisme vichyssois. Déjà les prolongements de cette loi font évoquer le signalement, comme celle du 15 avril 1954 pour l’alcoolique dangereux ou celle du 31 décembre 1970 concernant le toxicomane. Mais s’est-on suffisamment interrogé sur le système de délation consacré par la loi ? Nul doute alors que d’autres lois vont venir faire jouer comme opérant le conditionnement signalisateur. C’est ainsi que se modifie peu à peu la relation thérapeutique au point de devenir relation de pouvoir.
Cette tendance est encore plus manifeste en ce qui concerne la loi du 17 juin 1998 concernant les infractions sexuelles sur mineurs (loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs), ainsi que son décret d’application du 18 mai 2000 (décret n° 2000-412 pris pour l’application du titre IX du livre III du code de la santé publique et relatif à l’injonction de soins concernant les auteurs d’infractions sexuelles et modifiant le code de la santé publique [2e partie Décrets en Conseil d’État]). Outre qu’il est question d’obligation de soins, un médecin coordonnateur sera chargé de superviser en quelque sorte son confrère médecin traitant.
Ce problème de l’obligation de soins assimilés peu ou prou à une sanction ou absolutoires de la sanction mériterait un large débat. Que signifie être condamné à des soins psychiatriques ? N’est-ce pas là la meilleure preuve de l’utilisation du psychiatre, convoqué là où il ne doit pas être : la normalisation sociale ? Et sa responsabilité sera de plus en plus recherchée. C’est d’ailleurs l’esprit qui anime une loi passe-partout et bâclée, celle du 4 mars 2002 qui instaure la méfiance, voire la défiance de l’usager vis-à-vis du médecin. Le terme de patient a disparu (loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé).
Certes Lacordaire avait raison lorsqu’il déclarait :“Entre le faible et le fort, c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère”, mais actuellement nous entrons progressivement dans l’ère du normatif administré qui dépossède le soignant de toute initiative et ôte au sujet souffrant sa singularité, qui sera cachée derrière un protocole validé au titre de l’evidence-based medecine (l’évidence scientifique en médecine). Sans doute l’esprit critique n’est-il plus l’apanage des psychiatres ? Tout est donc prêt pour faire enfin de la bonne psychiatrie sans psychiatre !
Pierre Truche, premier président honoraire à la Cour de cassation est ensuite intervenu pour insister sur les rôles de chacun : dans un brillant plaidoyer intitulé :“La mission du juge et celle du médecin ne devraient pas être confondues”, il pose la question de la cohérence entre le psychisme d’un individu et le crime dont il est coupable. Qui va décider qu’il n’y a “ni crime, ni délit” en raison d’un état de démence (article 64 du code pénal) ou que l’auteur d’une infraction “n’est pas pénalement responsable” (art. 122-1 alinéa 1 du nouveau code pénal) ? Formellement toujours un magistrat qui décidera d’un classement sans suite (procureur de la République) d’un nonlieu (juge d’instruction), d’une relaxe ou d’un acquittement (tribunal ou cour). Il faut pour cela qu’au moment des faits l’intéressé ait été “atteint d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes”, c’est-à-dire sa capacité de comprendre ou de vouloir. On est là dans la sphère de compétence médicale mais il arrive que pour des infractions sans victime particulièrement atteinte, un procureur classe une affaire sans expertise au vu d’une situation de fait (séjour antérieur en hôpital psychiatrique, prise en charge médicale dans un cadre familial, absurdité des faits, etc.). Ce qui ne va pas sans poser le problème de la manière dont l’impunité est ressentie par l’auteur et donc sur l’attitude à adopter en cas de récidive.
L’application du premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal conduira souvent à l’internement de celui qui n’est pas pénalement responsable. Le Parlement n’a pas souhaité que cet internement et sa durée soient confiés à l’autorité judiciaire ; il reste administratif sous la réserve, pour la sortie, de deux examens concordants établis par des experts psychiatres extérieurs à l’établissement choisis sur une liste dressée par le procureur.Avec des risques, en cas de sortie rapide, de contradiction avec les conclusions des experts judiciaires.
Entre l’irresponsabilité pénale et la pleine responsabilité existent des situations intermédiaires. Le problème a été posé par la célèbre circulaire du 12 décembre 1905 de M. Chaumie, garde des Sceaux :“Les congrès de science pénale les plus récents se sont préoccupés à juste titre de l’atténuation possible de la culpabilité des accusés ou des prévenus, résultant de leur état mental, et ont été amenés à constater que, dans la plupart des cas, les cours et les tribunaux n’ont pas les éléments nécessaires pour apprécier le degré de leur responsabilité”.
Certains médecins légistes croient avoir rempli suffisamment la mission qui leur a été confiée en concluant sommairement à une responsabilité “limitée” ou “atténuée”. Une semblable conclusion est beaucoup trop vague pour permettre au juge d’apprécier la culpabilité réelle du prévenu d’après son état mental au moment de l’action ; mais son insuffisance tient généralement au défaut de précision du mandat qui a été donné à l’expert.Au psychiatre de la dire mais, ajoute l’article, à la juridiction de tenir compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. Ce qui n’implique pas, comme en 1905, une modération dans l’application des peines. On a même vu une cour d’assises condamner à perpétuité un assassin dont la responsabilité était très largement atténuée mais dont la dangerosité était soulignée. Le législateur n’a pas retenu la possibilité de prononcer une mesure mi-répressive mi-médicale que certains envisageaient mais le renvoi à la fixation du régime d’exécution de la peine autorise le prononcé d’un suivi sociojudiciaire, notamment avec injonction de soins (art. 131-36-4), la semi-liberté pour suivre un traitement (art. 132-26), le fractionnement pour motif grave d’ordre médical (art. 132-28), le suivi avec mise à l’épreuve avec obligation de traitement ou de soins (art. 132-45), le tout en matière correctionnelle. Reste pour les détenus à les orienter dans un établissement en fonction du bilan psychiatrique.

Voici donc le psychiatre et le juge face à face. Le sort d’un auteur d’infraction ou d’un malade à protéger en dépend.Tous deux sont soumis à de fortes exigences éthiques.Oui, ils ont des missions différentes mais que chacun sans complaisance ni compromis, soit pleinement ce qu’il s’est engagé par serment à être. Ne rejouons pas Le Juge et l’Assassin de Bertrand Tavernier où l’on voit le juge d’instruction provoquer les psychiatres à écarter la folie parce qu’il faut que les crimes soient sanctionnés de la peine de mort.
Rappelons aussi, pour introduire un débat, ce que disait Hannah Arendt dans le post-scriptum à Eichmann à Jérusalem (c’était en 1963) : “Il est vrai que la psychiatrie, la sociologie modernes, sans parler de la bureaucratie moderne, nous ont bien habitués à évacuer la responsabilité de l’auteur pour ses actes en les expliquant par tel ou tel déterminisme, que ces explications apparemment plus profondes des actions humaines soient justes ou pas, voilà qui est discutable. Mais ce qui est hors de discussions est qu’aucune procédure judiciaire ne serait possible sur ces bases, et qu’à l’aune de telles théories, la justice n’est pas une institution moderne, elle est même tout à fait démodée. Quand Hitler disait qu’un jour viendrait en Allemagne ou la profession de juriste serait considérée comme “honteuse”, il exprimait seulement,avec cohérence extrême, son rêve d’une bureaucratie parfaite”.
Nous n’y sommes prêts ni les uns, ni les autres.

• Marc Jean-Talon, juge de l’application des peines à Carpentras, nous a présenté avec une très grande clarté et un profond humanisme le suivi sociojudiciaire applicable depuis le 20 juin 1998, mais uniquement pour des faits commis à compter de cette date et qui est prononcé par le tribunal correctionnel ou la cour d’assises.Il comporte l’obligation pour le condamné de se soumettre à des mesures de surveillance, d’assistance, et éventuellement de soin, destinées à prévenir la récidive. L’exécution du suivi sociojudiciaire est placée sous le contrôle du juge de l’application des peines. Sa durée est fixée par la juridiction de condamnation dans la limite de dix ans en cas de condamnation pour délit et de vingt ans en cas de condamnation pour crime.
Quel est son contenu ?
- Il existe des mesures de surveillance. Ce sont tout d’abord des mesures qui permettent au juge de l’application des peines d’exercer réellement son contrôle (obligation de se présenter aux convocations, de fournir des justificatifs, d’aviser des changements de résidence, etc.). La juridiction qui prononce la condamnation peut ensuite fixer des obligations spéciales permettant notamment d’éviter que le condamné n’entre en relation avec des mineurs, d’imposer la réparation des dommages causés à la victime ou de ne pas rester inactif.
- Les mesures d’assistance ont pour objet de seconder les efforts du condamné en vue de sa réinsertion sociale. Il s’agit en pratique de l’intervention d’un travailleur social désigné par le juge de l’application des peines.
- L’injonction de soins : il s’agit de l’obligation de se soumettre aux examens, soins et traitements proposés. Elle ne peut être prononcée que s’il est établi après une expertise médicale que la personne condamnée est susceptible de faire l’objet d’un traitement.

Comment l’injonction de soins est-elle mise en œuvre ?

Le principe de la liberté des soins est réaffirmé. La loi prend le soin de rappeler que : aucun traitement ne peut être entrepris sans le consentement de l’intéressé, la personne condamnée peut changer de médecin traitant, le médecin traitant peut interrompre le suivi d’une personne condamnée, le juge de l’application des peines ne peut intervenir dans le déroulement des soins décidés par le médecin traitant.
Le médecin coordonnateur : le procureur de la République établit tous les trois ans la liste des médecins coordonnateurs, choisis parmi des psychiatres ou des médecins ayant suivi une formation appropriée. Pour chaque condamné à une injonction de soins, le juge de l’application des peines désigne un médecin coordonnateur et lui adresse copie des pièces de la procédure utiles à l’exercice de sa mission. Le médecin coordonnateur convoque la personne condamnée pour un entretien au cours duquel il lui fait part des modalités d’exécution de l’injonction de soins. Le médecin coordonnateur est chargé :
- d’inviter le condamné, au vu des expertises réalisées, à choisir un médecin traitant. Le médecin coordonnateur ne peut refuser le choix du médecin traitant, sauf si celui-ci n’est manifestement pas en mesure de conduire la prise en charge d’auteurs d’infractions sexuelles. En cas de désaccord persistant sur le choix effectué, le médecin traitant est désigné par le juge de l’application des peines après avis du médecin coordonnateur. Le médecin traitant doit toutefois avoir été pressenti ou accepté par la personne condamnée. Si cette désignation s’avère impossible, le juge de l’application des peines peut ordonner la mise à exécution de l’emprisonnement. Le médecin coordonnateur informe le médecin traitant pressenti du cadre juridique dans lequel s’inscrit l’injonction de soins et reçoit son accord confirmé par écrit ;
- de conseiller le médecin traitant, à la demande de ce dernier. Le médecin coordonnateur remet au médecin traitant les rapports des expertises médicales et les pièces du dossier utiles au traitement ;
- de transmettre au juge de l’application des peines les éléments nécessaires au contrôle de l’injonction de soins. À cet effet, il convoque périodiquement et au moins une fois par an le condamné pour réaliser un bilan de sa situation ;
- au terme du suivi sociojudiciaire, d’informer le condamné, en liaison avec son médecin traitant, de la possibilité de poursuivre son traitement en l’absence de contrôle de l’autorité judiciaire.
Le médecin coordonnateur est ainsi l’interface du dispositif. Il va être garant de l’effectivité et du sérieux des soins à l’égard du magistrat, et de la liberté des soins à l’égard du médecin traitant.

Quelle évaluation peut-on faire du nouveau dispositif légal ?

• On ne disposera d’un recul suffisant pour effectuer une évaluation objective de la loi du 17 juin 1998 que dans plusieurs années. Le faible nombre des critiques exprimées laisse penser qu’un équilibre subtil a été atteint entre le volet pénal et le volet médical. La réussite du dispositif est toutefois suspendue aux réponses qui seront apportées aux questions suivantes :
- peut-on évaluer objectivement l’efficacité des traitements actuellement mis en œuvre sur le taux de récidive ?
- quelle est la position des experts sur l’opportunité de l’injonction de soins lorsque la personne examinée nie les faits ?
- la possibilité pour le médecin traitant de communiquer des informations relatives aux soins en cours ne va-t-elle pas modifier la relation avec son patient ?
- les équipes soignantes réussiront-elles à assurer la continuité des soins entre le milieu carcéral et le milieu postcarcéral ?
- les importants moyens humains et matériels nécessaires seront-ils disponibles ?

• Le docteur Philippe Brenot a ensuite développé sa position sur l’imprescriptibilité de l’inceste. L’inceste est de retour. Les anthropologues en ont montré la valeur universelle aux frontières de l’humanité en posant son interdit comme fondement de toute société tandis que l’Occident semble aujourd’hui découvrir la réalité de sa fréquence. Les attitudes sont cependant encore défensives et motivent bien des aveuglements envers cette blessure identitaire pour l’enfant qui en est victime. Mais comment comprendre l’inceste, son interdit et sa transgression, sans s’interroger sur sa nature, ses fondements et son histoire et réagir contre la prescription qui frappe aujourd’hui son signalement et empêche les victimes d’obtenir une juste réparation.
Le seul moyen qui m’apparaît aujourd’hui susceptible de permettre cette reconnaissance sociale de ce crime identitaire fondamental serait de reconnaître la nature particulière de l’inceste, mais aussi de la pédophilie : ne soyons pas hypocrites, la pédophilie a le plus souvent un caractère incestueux,car perpétré à 80 % par un proche de l’enfant ou un substitut des parents, éducateur, psychologue, enseignant, personne à qui l’enfant a été confié. Il faut donc reconnaître le caractère spécifique de ce crime pour permettre l’imprescribilité de l’inceste, c’est-à-dire reconnaître que l’inceste est un crime contre l’humanité, seul cas juridique d’imprescription, crime contre l’humanité naissante de cet enfant en construction. Jean-Claude Guillebaud parle dans le même sens de l’inceste dans le principe d’humanité :“Le père qui possède sexuellement le corps de son enfant cède à un désir inhumain… Il brise le cours du temps. Il ef face la parenté. Il interdit à la victime de prendre place dans la chaîne des générations. L’inceste est le cousin germain du génocide en ce qu ’il aboutit à détruire l ’individu en détruisant son lien de parenté. Ce qu ’il violente, en somme, ce n’est pas seulement le corps de l’enfant, ou l’un de ses organes, c’est très exactement ce qui fonde son humanité”.

• Le Dr J. Lamana, nous a ensuite présenté la responsabilité du pharmacien hospitalier. Pour lui, le responsable est celui qui doit répondre de ses actes et qui prend des décisions en tant que chef. “Ravitailleur” des médecins et des soignants en produits de soins, le pharmacien hospitalier est responsable évidemment de la qualité de ses fournitures, de la rigueur et de la diligence avec laquelle lui-même et ses subordonnés répondent aux besoins exprimés. Et ce, depuis qu’existent les pharmacies hospitalières. L’environnement du monde de la santé est en pleine évolution, en particulier : les patients sont devenus des consommateurs bien informés et de plus en plus présents,les contraintes réglementaires et budgétaires restreignent la liberté des établissements, la transparence est recherchée à tous les niveaux, la démarche qualité et l’accréditation se développent, mais surtout les progrès de la médecine et des thérapeutiques s’accompagnent d’une complexité des soins de plus en plus grande. En effet, des tisanes aux dérivés du sang, du coton cardé aux greffons osseux, des clystères ou lavements aux solutés pour hémodialyse, les produits se sont tant diversifiés, démultipliés et complexifiés qu’il n’est plus une seule de ses activités hospitalières qui ne mette en cause la responsabilité morale, pénale, civile, disciplinaire et déontologique de ce professionnel !
Entre obligation de moyens et obligations de résultats, le pharmacien hospitalier doit accomplir quotidiennement un rude parcours d’obstacles. Le rôle essentiel de la pharmacie hospitalière est de mettre à disposition du patient la thérapeutique adaptée en toute sécurité. Le pharmacien est garant du bon usage du médicament et des dispositifs médicaux stériles (le bon produit, au bon malade, au bon moment, de la bonne manière et avec le bon prescripteur) :
- les missions de base, qui sont la gestion, l’approvisionnement et la dispensation des médicaments, produits ou objets mentionnés à l’article L. 4211-1 ainsi que des dispositifs médicaux stériles ; la réalisation des préparations magistrales à partir de matières premières ou de spécialités pharmaceutiques ;
- les activités soumises à autorisation : qui sont la réalisation des préparations hospitalières à partir de matières premières ou de spécialités pharmaceutiques, la réalisation des préparations rendues nécessaires par les expérimentations ou essais des médicaments, la délivrance des aliments diététiques destinés à des fins médicales spéciales, la stérilisation des dispositifs médicaux, la préparation des médicaments radiopharmaceutiques.
Le pharmacien hospitalier occupe une place particulière dans l’équipe de soins. Sa responsabilité peut être mise en cause, notamment pour tous les actes portant sur le médicament et les DMS (dispositifs médicaux stériles) que ce soit au stade de la fabrication ou de la distribution. La responsabilité professionnelle du pharmacien prend donc toute sa place dans le débat actuel sur la responsabilité de l’ensemble des professions de santé.
Pour répondre aux missions de la pharmacie hospitalière, le pharmacien doit assurer des fonctions très variées : gestion, achats, suivi budgétaire, approvisionnement, stockage, technique, fabrication, dispensation, vigilance, hygiène, management, organisation interne du service, encadrement des collaborateurs (préparateurs/aides de pharmacie/adjoint et assistant), personnel de la pharmacie (responsabilité technique), contrôle des compétences du personnel de la pharmacie, information des instances décisionnelles des difficultés de fonctionnement, communication, information du patient et de la communauté médicale sur les produits pharmaceutiques, les DMS, formation et conseil auprès des autres corps de métier de l’hôpital.
Cette énumération impressionnante parle d’elle-même et justifie la préoccupation légitime des PH quant à leur mise en cause potentielle au plan pénal.On voit en effet clairement apparaître les zones de “vulnérabilité” pénale du pharmacien hospitalier.

Le couple médecin/pharmacien : la prescription médicale

• La liberté de prescription appartient au médecin, tenu de satisfaire à son obligation de moyens.Il faut souligner le rôle de plus en plus actif tenu par le pharmacien qui ne se cantonne plus à la simple délivrance des médicaments mais qui doit plus que jamais contrôler les termes de l’ordonnance ; “on est en droit d’attendre du pharmacien beaucoup plus que d’un simple exécutant”. En contrôlant celle-ci, il apparaît comme le dernier rempart avant la survenue d’un préjudice pour le malade. De la synthèse des exigences réglementaires, il découle que la prescription médicale doit être individuelle, écrite ou informatisée, qualitative et quantitative.
La responsabilité du pharmacien hospitalier est donc multiple, elle se décline selon trois paramètres :
- la responsabilité civile : qui concerne soit la faute de service, soit la faute personnelle détachable du service ;
- la responsabilité pénale (responsabilité punitive) : en droit pénal français, la responsabilité est strictement individuelle, chacun est personnellement responsable de ses fautes ;
- la responsabilité disciplinaire (responsabilité punitive) : il peut donc être sanctionné disciplinairement pour ses fautes professionnelles et être appelé à comparaître devant une Chambre disciplinaire de l’Ordre qui constatera les faits, appréciera les preuves et déterminera la sanction à prononcer au regard de la faute professionnelle retenue.

Comme on le voit, le pharmacien hospitalier reçoit des missions de plus en plus nombreuses, lourdes à gérer.L’hôpital lui donne-t-il des moyens suffisants ?
Il faut adopter des comportements professionnels de prudence extrême : soyons juridicovigilants à tout instant. Malgré tous ces risques “théoriques”, il n’y a pas ou peu d’action judiciaire contre les pharmaciens hospitaliers. Il y a certainement des infractions aux textes dans l’exercice quotidien, mais des dommages aux malades, certainement pas ou très peu. En pratique, la première question que se pose le pharmacien est la suivante :“Ce que je fais, est-ce conforme à l’intérêt de la santé publique” ? Cette interrogation doit le guider dans tous ses actes.

Il aurait aussi fallu évoquer Alain Bisiach, juge de l’application des peines à Avignon, qui nous a parlé de la paternalité, Boris Cyrulnik qui a évoqué les rapports entre enfance et résilience, Rémi Picard, assistant spécialiste à Montfavet qui a brossé un excellent tableau médicolégal de la dangerosité toxicomaniaque. Que tous ceux qui ont été oubliés veuillent bien nous pardonner.

Ces échanges nourris, vifs, intelligents ont débouché sur le projet de créer une Commission Justice et Psychiatrie, dont l’idée était dans l’air depuis quelque temps. Souhaitons que l’ANREP soit le fer de lance de cette direction !

Documents joints

  • Compte rendu 2002 (PDF - 448.6 ko)
    Dominique BARBIER - Compte-rendu des 1 ère journées de l’ANREP - Colloque sur les rapports Médecine, Psychiatrie et Justice - Paru dans Synapse - n° 196 - juin 2003

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