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L’expertise psychiatrique pénale - 2eme partie

mercredi 12 novembre 2003, par Jean-Louis DESCHAMPS

Communication présentée lors des 2es Journées de l’ANREP,
Avignon, 12 novembre 2003, “Les soins obligés”, en présence du professeur Jean-Marc Elchardus, CHU de Lyon.

Texte revu par le docteur Dominique Barbier,
Membre du Collège Scientifique de la revue Synapse



Les problématiques particulières


Problèmes généraux

Nous avons vu que l’expertise classique est essentiellement rétrospective, elle est centrée sur l’état mental du sujet au moment des faits. Les différents types d’expertises psychiatriques pénales se heurtent à des difficultés dans leurs conditions matérielles de déroulement. Gérard Dubret (3), par exemple, note que “les conditions pratiques de réalisation des expertises en prison relèvent souvent du parcours du combattant : accueil rébarbatif à l’entrée de l’établissement, absence de locaux appropriés pour les examens, intransigeance des horaires et attente invraisemblable pour l’acheminement de leur cellule vers le bureau d’examen pour les détenus”.Il apparaît ainsi que les établissements pénitentiaires ne sont pas les lieux les plus adaptés aux nécessités de l’expertise psychiatrique pénale. De nombreux auteurs ont insisté sur le fait que les explorations doivent être longues, prudentes et approfondies. Ils ont évoqué l’intérêt de centres d’évaluation et d’expertise, au décours d’une période suffisante d’observation.
L’expertise pénale traditionnelle présente trois difficultés majeures qui sont liées à la pratique clinique de l’expertise. Ces difficultés portent sur :
- la conduite de l’entretien avec la personne poursuivie ;
- le décalage qui existe dans le temps entre les faits pour lesquels la personne est poursuivie et la réalisation de la mission expertale ;
- la problématique de la simulation.
• T.Albernhe et Y.Tyrode (1) soulignent que l’entretien avec la personne poursuivie varie considérablement selon les circonstances de l’expertise, la personnalité de l’expert, l’expérience antérieure du sujet. Le “vécu de cette expertise est très variable et dépend en grande partie de ce que l’inculpé croit pouvoir obtenir du médecin : alliance, complaisance, aide, information sur le déroulement du procès, pronostic”.
• Ils indiquent que “la tâche de l’expert, qui examine la personne poursuivie plusieurs semaines après les faits, voire plusieurs mois, ou même plusieurs années en cas de contre-expertise est souvent délicate. Il en est notamment ainsi dans l’hypothèse d’un trouble mental intermittent dont il est difficile de savoir s’il existait au moment de l’acte, ou lorsque la personne poursuivie ne reconnaît pas avoir commis l’infraction qui lui est reprochée”.
• Et concluent :“Il faut songer aux simulateurs, situation particulièrement fréquente chez certains psychopathes ou pervers particulièrement intelligents”.
En dehors de ces considérations générales, il n’est pas inintéressant, à propos de l’expertise pénale de s’arrêter quelques instants sur la question de la dangerosité.

La dangerosité

Aux difficultés liées à l’exercice expertal en prison, et à celles liées à la pratique clinique de l’expertise, il faut ajouter qu’il existe parfois une difficulté d’ordre relationnel lorsque les professionnels du droit pénal et les professionnels de la clinique psychiatrique ont du mal à se comprendre. C’est le cas du concept de “dangerosité” qui a lui seul mériterait un long développement car il constitue un terrain classique d’incompréhension. Les professionnels du droit ont tendance à appréhender la “dangerosité” comme la probabilité du passage à l’acte délictueux chez un individu. C’est avec cette notion de la dangerosité (qui renvoie à un impératif de sécurité publique) que les juristes interrogent les psychiatres.
Comme le relève S. Bornstein :“… la société par juriste interposé, lui pose une question concernant la dangerosité dans sa globalité bien qu’il existe de nombreux criminels qui ne présentent pas une pathologie mentale nettement individualisée, et dûment observable” (2). Il est vrai qu’on peut opposer la dangerosité pénale et la dangerosité psychiatrique qui résulte d’une pathologie mentale génératrice de passage à l’acte. Le concept de “dangerosité” retenu par les psychiatres est tout naturellement celui de la “dangerosité psychiatrique”. Ces deux notions de dangerosité sont inconciliables. Mais le concept de “dangerosité psychiatrique” permet d’éviter que tous les comportements dangereux soient psychiatrisés.
L’expertise psychiatrique pénale classique est une expertise rétrospective qui appréhende la “dangerosité psychiatrique” du sujet au moment du passage à l’acte. La notion de dangerosité psychiatrique, malgré le caractère rétrospectif de l’expertise, présente un intérêt prospectif.
Son évaluation est en effet essentielle dans une perspective de sécurité publique, fondée sur la prévention de la récidive. Mais comme le fait observer S. Bornstein, “il est scientifiquement impossible de prédire une conduite dangereuse” (2). L’impératif de sécurité publique et de prévention de la récidive peut donc se trouver du fait de l’impossibilité de prédire une conduite dangereuse en conflit avec l’équité.
Une autre question posée à l’expert est libellée comme s’il était effectivement possible de prédire une conduite dangereuse. Elle est ainsi rédigée :“Le sujet présente-t-il un état dangereux ?” Si le concept de “dangerosité” est formulé dans les documents utilisés pour définir la mission type des experts, il faut observer que la notion n’est pas directement évoquée dans le dispositif de l’article 122-1 du code pénal. La dangerosité est en effet un concept controversé que le législateur ne s’est résolu à introduire dans le droit positif que très tardivement et avec parcimonie. La notion a d’ailleurs rencontré des difficultés pour être admise dans les dictionnaires. C. Koupernik écrit à son sujet :“dangerosité : le mot est récent ; il date de 1969. Il n’a pas été accueilli à bras ouverts” (4). Le concept de “dangerosité” figure aujourd’hui au moins dans un dispositif législatif. (Il s’agit du deuxième alinéa de l’article 720-4 du code de procédure pénale qui institue un cas d’expertise prospective). Il s’agit de l’expertise d’une personne qui a été condamnée pour une infraction sexuelle et pour laquelle il est envisagé une prélibération conditionnelle ou une sortie temporaire de prison.
L’article 720-4 du code de procédure pénale stipule que :“Le juge de l’application des peines peut, à l’expiration d’une période de trente ans suivant la condamnation saisir un collège de trois experts médicaux désignés par le bureau de la Cour de cassation sur la liste des experts désignés par la Cour, qui se prononce sur l’état de dangerosité du condamné”.
Après avoir abordé la question de la dangerosité qui est un des problèmes de l’expertise pénale, il apparaît important d’évoquer la question de l’expertise psychologique.

L’expertise psychologique

Sur le plan juridique l’expertise psychiatrique pénale se situe pleinement dans le champ de l’expertise médicale de droit commun. (Il est significatif que la section IX du chapitre I du titre III du livre premier du code de procédure pénale, intitulée “De l’expertise” n’évoque, à propos de ce que nous appelons “l’expertise psychiatrique pénale” que la notion de “médecin” et n’utilise point le concept de “psychiatre”.)
Les problématiques particulières de l’expertise psychiatrique pénale soulignent son originalité, mais elles ne sont pas suffisantes pour la situer hors de la sphère juridique de l’expertise médicale. Les psychiatres experts ne peuvent ignorer le code de déontologie médicale, notamment l’article 33 qui précise que “le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin…”, et l’article 105 qui est ainsi formulé :
Nul ne peut être à la fois médecin expert et médecin traitant d’un même malade. Un médecin ne doit pas accepter une mission d’expertise dans laquelle sont en jeu ses propres intérêts, ceux d’un de ses patients, d’un de ses proches, d’un de ses amis, ou d’un groupement qui fait habituellement appel à ses services”.
Les auteurs de la doctrine médicale font observer que l’expert psychiatre peut non seulement mener une activité de psychiatre traitant, ce qui n’est effectivement pas contraire à la formulation de l’article 105 du code de déontologie médicale, mais le recommandent même. Ils ajoutent que l’expert psychiatre peut encore après le jugement exercer une fonction de psychothérapeute au bénéfice de sujets qu’il a expertisés. Sur le plan juridique, l’expertise psychiatrique pénale et l’expertise psychologique ne sont pas confondues, le code de procédure pénale place les deux notions dans deux sphères différentes. Les deux notions se rapprochent cependant d’une manière certaine sur le plan juridique. Elles obéissent en effet l’une et l’autre au niveau de leur pratique à une règle d’exception qui est établie par le code de procédure pénale pour l’expertise médicale. Sur le plan juridique, il n’est pas possible d’affirmer que l’expertise médicale ait une quelconque prééminence sur l’expertise psychologique. (Il est en effet possible de concevoir dans le système juridique actuel une juridiction qui désignerait un psychologue comme expert, avec un médecin comme expert adjoint, l’expert adjoint ayant pour mission d’éclairer le psychologue. Un signe caractéristique de cette absence de prééminence serait donné dans ce cas par le fait que le rapport du médecin serait, conformément au troisième alinéa de l’article 162 du code de procédure pénale, annexé au rapport du psychologue.)
L’expertise psychologique pénale diffère cependant fondamentalement de l’expertise psychiatrique médicale. Elle se présente sous la forme d’un concept juridique totalement autonome qui a été introduit par la loi n°93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale. (Il faut rappeler que le dispositif de cette loi a supprimé l’examen médico-psychologique et a formulé le concept spécifique de l’examen psychologique. L’autonomie juridique de ce nouveau concept a mis fin en partie à la confusion des genres qui existait dans le passé. Celle-ci demeure toutefois encore possible lorsqu’une juridiction désigne conjointement un médecin et un psychologue co-experts.)
La confusion des genres est plus facile à éviter (et l’esprit de la loi 93-2 du 4 janvier 1993 davantage respecté), lorsque la juridiction désigne un expert adjoint psychologue. Le rapport du psychologue est bien individualisé, il est annexé à celui du médecin (conformément à l’exigence posée par l’article 162 du code de procédure pénale). Dans le droit commun des expertises pénales, les experts peuvent recevoir à titre de renseignement et pour l’accomplissement de leur mission, les déclarations de diverses personnes, mais ils ne peuvent pas recevoir seuls celles des personnes qui sont mises en examen, qui sont témoins assistés ou parties civiles. Si par hypothèse, dans une expertise autre que médicale, il apparaît absolument nécessaire que l’expert entende seul ces personnes, c’est-à-dire hors la présence du juge et des avocats, cela n’est possible qu’à titre dérogatoire. Encore est-il nécessaire que l’expert reçoive une “délégation motivée délivrée à titre exceptionnel par le magistrat”.
Le principe essentiel est donc que c’est le juge et non l’expert, qui interroge. S’agissant d’une expertise médicale, ou d’une expertise psychologique, le principe fondamental est au contraire que le médecin ou le psychologue entend la personne hors la présence du juge ou de son conseil. La règle de droit est donc fondée sur un concept qui est étranger au droit commun de l’expertise : celui de l’intimité de la relation expertale. L’article 164 du code de procédure pénale explique très clairement la raison de cette règle spécifique : l’audition de la personne concernée n’est pas une simple audition, elle est en réalité un examen médical ou psychologique. Il s’agit d’un point très important du droit de l’expertise médicale auquel les psychiatres sont très attachés. Les experts psychiatres peuvent en effet expliquer au sujet, dans un dialogue singulier et parfaitement libre, le sens de leur mission, son absence de caractère thérapeutique, ainsi que le fait que les conclusions de l’examen seront communiquées à la juridiction qui les a désignés.

Une évolution de l’expertise ?

Malgré l’absence de caractère thérapeutique de leur mission, les psychiatres intègrent assez volontiers des perspectives thérapeutiques dans leur rapport et hésitent de moins en moins à faire connaître la place qu’ils attendent de la sanction dans le traitement, ou plus exactement dans l’évolution ultérieure de l’auteur de l’infraction. Ils formulent également des vœux sur les soins à entreprendre. La lecture de nombreux rapports d’experts laisse penser que le moment paraît propice pour la mise en œuvre d’une réforme de l’article 122-1 du code pénal qui poserait le principe de mesures de suivi socio-judiciaire pour l’ensemble des catégories de délinquants qui ont une composante psychopathologique préoccupante.
Les experts font connaître fréquemment leur point de vue sur la problématique de la réadaptation du sujet. Ils évoquent souvent les prises en charge sociales qui sont à organiser, les ressources à rechercher, ou les formations à proposer, quand il leur est demandé si “le sujet est curable ou réadaptable ?
En 1984, cette même interrogation figurait en cinquième position sur le questionnaire de l’époque. Denis Pilette développait à l’époque une analyse qui garde sa pertinence :“Ici, les experts ne peuvent que formuler des vœux pieux, préciser une pathologie et l’impérative nécessité des soins, proposer un placement en institution, en foyer, suggérer une demande d’allocation aux adultes handicapés, une formation professionnelle ou bien parfois, proposer l’application de la loi du 15 avril 1954 concernant les alcooliques dangereux” (6).
En effet, le but de l’expertise pénale n’est pas la réinsertion ou la réadaptation du sujet.

L’expertise pénale et les auteurs d’agressions sexuelles :

lois Méhaignerie (n°94-89 du 1er février 1994) et Guigou (n°98-468 du 17 juin 1998)

Les concepts institués par les lois Méhaignerie et Guigou constituent la pierre angulaire de l’articulation médico-judiciaire mise en place pour la prise en charge psychologique des auteurs d’agressions sexuelles.Alors que l’expertise psychiatrique traditionnelle était une expertise rétrospective, toujours antérieure à la décision de justice prononçant la condamnation, le non-lieu, la relaxe ou l’acquittement, la loi Méhaignerie a fait apparaître un genre nouveau : celui de l’expertise prospective.
À la même époque, le législateur belge a également introduit par une loi du 13 avril 1995 une expertise prospective dont l’esprit est voisin de celui de la loi Méhaignerie. Cette loi instaure une expertise préalable à toute mesure d’individualisation des peines d’emprisonnement lorsque les condamnés sont des auteurs d’infractions sexuelles meurtriers ou assassins de mineurs, et que le meurtre ou l’assassinat du (ou des) mineur (s) a été précédé ou accompagné de viol, de tortures, ou d’actes de barbarie. Les articles 720-4 et 722 du code de procédure pénale définissent les principes de cette expertise qui est réalisée par trois psychiatres. Ces deux articles visent des cas où l’expertise psychiatrique pénale est ordonnée, non plus par rapport à une problématique sentencielle, mais par rapport à une problématique post-sentencielle. Pour cette expertise, qui est ordonnée en fin de peine, la question posée aux experts n’est plus de savoir quelle était la responsabilité pénale de la personne poursuivie au moment de l’acte, mais de savoir quel est l’état de dangerosité de la personne condamnée.
Le fait que l’expertise instituée par la loi du 1er février 1994 ait un caractère prospectif ne signifie pas que les éléments rétrospectifs doivent être négligés par l’expert. Daniel Zagury insiste sur le fait que “sa réalisation nécessite la mise à disposition du dossier pénal et des expertises antérieures”. L’auteur ajoute :“Il faudra refuser de faire cette expertise lorsque ces documents ne sont pas transmis à l’expert, car ce dé faut ampute la mission de l’essentiel. Il ne pourrait pas évaluer le cheminement du condamné depuis le début de l’instruction” (8). M.G. Schweitzer écrit que “cette expertise constitue un enjeu majeur dans une politique de prévention de la récidive” (7).
La loi Guigou relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs évoque la notion d’expertise à plusieurs reprises dans son dispositif. Ce texte législatif a innové en instituant une expertise à valeur thérapeutique. Cette expertise est la pièce maîtresse d’un système fondé sur le principe d’une peine de “suivi socio-judiciaire”, assortie le cas échéant d’une “injonction de soins”. Le “suivi socio-juciaire” institué par l’article 131-36-4 du code pénal est une “peine complémentaire” en matière criminelle, une peine principale en matière correctionnelle.
Prononcée en tant que peine principale en matière correctionnelle l’injonction de soins s’analyse alors sur un plan juridique comme une peine privative de liberté, alternative à une incarcération. Certains auteurs considèrent toutefois que le “suivi socio-judiciaire” n’est pas une peine mais une “mesure de sûreté”. Le concept de “mesure” est recevable. Il s’agit en effet d’une mesure qui peut être prononcée, à l’encontre d’une personne qui a commis une infraction à caractère sexuel. Elle impose à l’intéressé l’obligation de se soumettre, à sa sortie de prison, sous le contrôle du juge de l’application des peines, à des mesures de contrôle et d’assistance destinées à prévenir la récidive. La durée maximale du “suivi médico-judiciaire” est de 10 ans pour les délits, 20 ans pour les crimes.
La possibilité donnée par la loi à la juridiction de jugement d’ordonner, après une expertise médicale, une “injonction de soins” a été critiquée par les psychiatres. L’objectif de cette expertise est de préciser si le sujet est susceptible d’être soigné. Eu égard à ce but, la critique formulée par les psychiatres donnait aux professionnels du droit l’impression d’une contradiction avec la pratique expertale, dès lors que les psychiatres experts avaient tendance à évoquer dans les expertises psychiatriques pénales classiques la possibilité d’un traitement, et même à accompagner cette évocation d’un développement sur la nature de ce traitement. Les professionnels du droit avaient d’autant plus de mal à appréhender le fond de la critique des psychiatres, qu’elle était présentée comme fondée sur des considérations d’ordre scientifique. Les psychiatres expliquaient en effet qu’il n’existe pas de critères scientifiques pour affirmer la nécessité d’une “injonction de soins” et complétaient leur affirmation en ajoutant que les perspectives thérapeutiques sont faibles lorsqu’il s’agit de prise en charge de délinquants sexuels.
Le législateur sembla par ailleurs ignorer les objections d’ordre pratique et déontologique qui étaient venues s’ajouter aux critiques d’ordre scientifique. Les psychiatres se demandèrent alors si le législateur ne cherchait pas, pour des raisons politiques, à transférer à tout prix sur les psychiatres le sort des condamnés. La liste des objections formulées par les psychiatres était longue. Si l’on évacue les objections d’ordre déontologique et si l’on s’en tient aux seules problématiques pratiques, il faut retenir que les psychiatres craignaient essentiellement que :
- que les moyens thérapeutiques mis à la disposition des psychiatres traitants soient inexistants et ne rendent en définitive les avis des psychiatres experts, purement formels, voire inutiles ;
- que la multiplication des demandes d’expertises alourdisse la charge de travail des experts psychiatres hospitaliers dans une période qui était difficile du fait de la baisse de la démographie hospitalière.
La crainte de la multiplication des demandes d’expertise était parfaitement objective. Elle résultait au surplus d’une volonté politique clairement affirmée par le fait que sa conséquence logique en termes financiers ne pouvait être que le gonflement conséquent du poste budgétaire consacré aux crédits accordés pour la réalisation des expertises judiciaires.

Les nouvelles dispositions de 3 codes (pénal , de procédure pénale et de la santé publique)

L’article 131-36-4 du code pénal
Il précise que :“Le suivi médico -judiciaire peut comprendre une injonction de soins. Cette injonction de soins peut être prononcée par la juridiction de jugement s’il est établi après expertise médicale, ordonnée dans les conditions prévues par le code de procédure pénale, que la personne poursuivie est susceptible de faire l’objet d’un traitement. Cette expertise est réalisée par deux experts en cas de poursuites pour meurtre ou assassinat d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie. Le président avertit alors le condamné qu’aucun traitement ne pourra être entrepris sans son consentement, mais que s’il refuse les soins qui lui seront proposés, l’emprisonnement prononcé en application du troisième alinéa de l’article 136-36-1 pourra être mis à exécution.
Lorsque la juridiction de jugement prononce une injonction de soins et que la personne a été également condamnée à une peine privative de liberté non assortie du sursis, le président in forme le condamné qu’il aura la possibilité de commencer un traitement pendant l’exécution de la peine”.
La première phrase du deuxième alinéa met en évidence le caractère systématique de l’expertise avant tout prononcé de l’injonction de soins par la juridiction de jugement :“Cette injonction peut être prononcée par la juridiction de jugement… s’il est établi après expertise…” Une lecture a contrario du deuxième alinéa permet de conclure que cette expertise est effectuée par un expert unique sauf dans le “cas de poursuites pour meurtre ou assassinat d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie”, où elle “est réalisée par deux experts”.

Les articles 706-47, 763-3, 763-4, 763-6 du code de procédure pénale
L’article 706-47 du code de procédure pénale développe quant à lui que :“Les personnes poursuivies pour le meurtre ou l’assassinat d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie ou pour l’une des in fractions visées aux articles 222-23 à 222-32 et 227-22 à 227-27 du code pénal doivent être soumises avant tout jugement sur le fond, à une expertise médicale. L’expert est interrogé sur l’opportunité d’une injonction de soins dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire.
Cette expertise peut être ordonnée dès le stade de l’enquête par le procureur de la République. Ele est communiquée à l’administration pénitentiaire en cas de condamnation à une peine privative de liberté, a fin de faciliter le suivi médical et psychologique en détention prévu par l’article 718
”.
La dernière phrase du premier alinéa de l’article 706-47 constitue la phrase clef de l’ensemble du dispositif :“L’expert est interrogé sur l’opportunité d’une injonction de soins dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire”.
Pour Gérard Dubret, “il s’agit ni plus ni moins de poser les bonnes indications de soins” (3).
L’article 763-3 du code de procédure pénale stipule en son troisième alinéa :“Le juge de l’application des peines peut également, s’il est établi après une expertise médicale ordonnée postérieurement à la décision de condamnation que la personne astreinte à un suivi socio-judiciaire est susceptible de faire l’objet d’un traitement, prononcer une injonction de soins. Cette expertise est réalisée par deux experts en cas de condamnation pour meurtre ou assassinat d’un mineur accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie. Le juge de l’application des peines avertit le condamné qu’aucun traitement ne pourra être entrepris sans son consentement, mais que s’il refuse les soins qui lui sont proposés, l’emprisonnement prononcé en application du troisième alinéa de l’article 131-36-1 du code pénal pourra être mis à exécution…
Le dispositif de l’article 763-3 fait dériver l’expertise psychiatrique très au-delà du champ juridique de l’expertise classique. L’introduction par ce dispositif du concept de “consentement aux soins”, dans un dispositif législatif relatif à l’expertise pénale, même s’il s’agit d’un type très particulier d’expertise, ne peut que conduire à une modification notable de la pratique expertale. Celle-ci est effectivement passée avec l’article 763-3 du code de procédure pénale de l’expertise de responsabilité à l’expertise à valeur thérapeutique, via l’expertise de dangerosité.
La caractéristique première de l’expertise à valeur thérapeutique et que celle-ci doit se dérouler dans un délai très rapide, pas seulement pour respecter le droit (l’exigence de rapidité est commune à toutes les expertises pour des raisons juridiques), mais surtout pour permettre un traitement rapide du sujet.
L’article 763-4 du code de procédure pénale énonce quant à lui :“Lorsque la personne condamnée à un suivi socio -judiciaire comprenant une injonction de soins doit exécuter cette mesure à la suite d’une peine privative de liberté, le juge de l’application des peines peut ordonner l’expertise médicale de l’intéressé avant sa libération. Cette expertise est obligatoire si la condamnation a été prononcée plus de deux ans auparavant.
Le juge de l’application des peines peut en outre, à tout moment du suivi socio-judiciaire et sans préjudice des dispositions de l’article 736-6, ordonner, d’office ou sur réquisition du procureur de la République, les expertises nécessaires pour l’in former sur l’état médical ou psychologique de la personne condamnée.
Les expertises prévues par le présent article sont réalisées par un seul expert, sauf dérogation motivée du juge de l’application des peines
”.
L’article 763-6 du code de procédure pénale évoque enfin le concept d’expertise dans le cas où la “personne condamnée à un suivi socio-judiciaire” demande “à la juridiction qui a prononcé la condamnation, ou en cas de pluralité de condamnation, à la dernière juridiction qui a statué de la relever de cette mesure”. La demande est présentée à la Chambre d’accusation si la personne a été condamnée par une cour d’assises. Aucune demande de relèvement ne peut cependant être présentée si le suivi socio-judiciaire a été prononcé à titre de peine principale.
Le troisième alinéa de l’article 763-6 précise que “la demande de relèvement est adressée au juge de l’application des peines, qui ordonne une expertise médicale et la transmet à la juridiction compétente avec les conclusions de l’expert ainsi que son avis motivé”.
Le quatrième alinéa ajoute :“L’expertise est réalisée par deux experts en cas de condamnation pour meurtre ou assassinat d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de tortures, ou d’actes de barbarie”.
Il est bien évident que l’expertise de relèvement envisagée par l’article 763-6 du code de procédure pénale (réalisée par un ou deux experts) est parmi toutes les expertises psychiatriques pénales, celle qui est la plus lourde de conséquences.

Le médecin coordonnateur (articles L. 371 1- 1, L. 371 1-2, R. 355-40 du code de la santé publique)
L’article L. 371 1-l du code de la santé publique précise que le “médecin coordonnateur est chargé… d’inviter le condamné au vu des expertises réalisées au cours de la procédure ainsi que, le cas échéant au cours de l’exécution de la peine privative de liberté, à choisir le médecin traitant…
L’article L. 371 1-2 du code de la santé publique envisage en son premier alinéa une possible transmission des “rapports d’expertises médicales réalisées pendant l’enquête ou l’instruction… au médecin traitant”. Ce dernier doit cependant faire une demande en vue de la communication des rapports d’expertises. Le premier alinéa de l’article L. 371 1-2 du code de la santé publique précise exactement que :“Les rapports des expertises médicales réalisées pendant l’enquête ou l’instruction ainsi, que, le cas échéant, le réquisitoire définitif, l’ordonnance de condamnation devant le tribunal correctionnel, l’arrêt de mise en accusation et le jugement ou l’arrêt de condamnation et, s’il y a lieu, toute autre pièce du dossier sont communiquées à sa demande, au médecin traitant, par l’intermédiaire du médecin coordonnateur, il en est de même des rapports des expertises ordonnées par le juge de l’application des peines en cours d’exécution, éventuellement de la peine privative de liberté ou de suivi socio-judiciaire”.
L’article R. 355-40 du code de la santé publique, dont le dispositif a été posé par le décret n°2000-412 du 18 mai 2000, pris pour l’application de la loi Guigou, précise que le médecin coordonnateur ne peut être le médecin qui “a été désigné pour procéder, au cours de la procédure judiciaire, à l’expertise de la personne condamnée” et que le médecin coordonnateur ne peut “être désigné pour procéder, au cours du suivi socio-judiciaire, à l’expertise de la personne condamnée”.
Ce même décret précise dans une formulation intégrée à l’article R. 355-54 du même code que “les expertises médicales ordonnées, le cas échéant par le juge de l’application des peines, soit sur proposition du médecin traitant, soit sur celle du médecin coordonnateur, sont celles prévues par le code de procédure pénale” et que “une copie de ces expertises est communiquée au médecin coordonnateur, ainsi que dans les conditions prévues par l’article précédent au médecin traitant”.
Pierre Lamothe fait observer à propos de ces incompatibilités : “Qu’il sera peut-être souhaitable de revenir dans le futur sur les clauses d’exclusion du médecin coordonnateur par rapport à l’expertise… Le consensus de la plupart des praticiens s’établit sur le fait qu’il n’y a pas d’objection sérieuse à écarter de la position de médecin coordonnateur un médecin qui aurait participé aux expertises initiales du dossier et qui de ce fait connaîtrait d’emblée la situation du patient (lequel connaîtrait la base de départ commune du juge et du médecin coordonnateur !) et pourrait présenter sa mission à la personne suivie et l’accomplir sans ambiguïté” (5) Il existe une analogie frappante entre la mission du “médecin coordonnateur” et celle du psychiatre expert. Pierre Lamothe considère que “la lettre de la loi apparente cette mission… à l’expertise”. Dans chaque cas, il s’agit en effet :
- d’une mission d’évaluation d’un sujet ;
- d’une mission confiée par une juridiction pénale ;
- d’une mission qui se déroule dans un cadre procédural précis ;
- d’une mission qui se définit comme une “démarche médicale spécialisée”.
Il insiste sur la “démarche technicienne”. Cette insistance sur le concept est remarquable car elle a pour effet de rapprocher dans l’esprit du lecteur la démarche du médecin coordonnateur de celle de l’expert-psychiatre à un point tel que l’on peut se demander si ce praticien ne se trouve par en réalité engagé dans une démarche expertale à valeur thérapeutique très originale qui se déroulerait non plus dans un délai rapide nécessité par un impératif judiciaire mais sur la durée nécessaire à une prise en charge clinique qui est imposé par l’impératif de prévention de la récidive. L’auteur explique qu’en définitive le “médecin coordonnateur” est un “technicien authentifiant le soin dont il est fait injonction” (5).

Conclusion

L’analogie n’est cependant pas suffisante pour assimiler complètement le médecin coordonnateur à un expert. La “démarche technicienne” comme la responsabilité du médecin coordonnateur sortent du cadre juridique de l’expertise. Par ailleurs si le psychiatre expert n’est qu’au service du juge qui l’a désigné, le médecin coordonnateur est certes au service du juge, mais il est probablement plus encore le partenaire du médecin traitant.
Le médecin coordonnateur est une interface entre le juge et le médecin traitant. Il ne se situe donc pas dans un service, mais dans un partenariat, ce qui pousse dans le sens de la co-responsabilité.
Il faut noter au passage que si la responsabilité personnelle du médecin coordonnateur est différente de celle d’un l’expert aussi bien que de celle d’un médecin traitant. Cette responsabilité originale demeure pour le moment mal précisée, notamment par rapport à la problématique du secret médical.

Références

1. Albernhe T., Tyrode Y. Législation en santé mentale. Duphar-Upjohn, 1994 ; tome III.
2. Bornstein S. Criminologie et psychiatrie. Ellipses, 1997.
3. Dubret G. “Pluriels”, la lettre de la mission nationale d’appuis en santé mentale. 2002 ; n°29.
4. Koupernik C. Criminologie et psychiatrie. Ellipses, 1997.
5. Lamothe P. Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’agression sexuelle. John Libbey Eurotext, 2001.
6. Pilette D. V.S.T., Revue des équipes de santé mentale. 1984 ; n° 155.
7. Schweitzer M.G. “Pluriels” la lettre de la mission nationale d’appui en santé mentale. 2002 ; n°29.
8. Zagury D. Psychopathologie et traitement actuel des auteurs d’agressions sexuelles. John Libbey, Eurotexte,2001.

Pour en savoir plus

• Barbier D. La dangerosité, approche pénale et psychiatrique. Éd. Privat,Toulouse, 1991 ; 160 p.
• Barbier D. Guide de l’intervention en santé mentale. Éd. Dunod, Paris, 1993 ; 330 p.

Documents joints

  • Expertise pénale 2 (PDF - 561.2 ko)
    Expertise pénale - 2eme partie - par J.-L. DESCHAMPS - paru dans Synapse - n° 205 - mai 2004

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