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Entretien avec Gérard Mosnier

novembre 2004, par Anne D’ANJOU, Dominique BARBIER


Gérard Mosnier
Directeur du Centre hospitalier de Montfavet

Gérard Mosnier est un homme très éclectique, ouvert à la vie moderne en ce qu’elle nous réserve de surprises, et qui a un sens du dialogue associé à des convictions, enthousiaste et militant à la fois ! Il n’est pas un interlocuteur facile, mais respecte l’avis de l’autre dès lors que celui-ci s’inscrit dans la tolérance. Directeur général diplomate et ferme, il assure avec bonheur et réussite la responsabilité de l’unique hôpital psychiatrique du Vaucluse (Montfavet) tout en ayant de multiples activités dans le domaine sanitaire ou social : il est en effet président de la conférence sanitaire du secteur n° 9 en PACA (qui correspond au Vaucluse et à une partie des Bouches-du-Rhône), président de l’Association droit et santé mentale, président de l’Association de coopération et d’échanges internationaux dans le domaine hospitalier (ASCEIDOH), secrétaire général de l’ADESM (Association des directeurs d’établissements en santé mentale), membre titulaire du GRAPH Psy. (Groupe de recherche et d’applications hospitalières en psychiatrie, qui regroupe 9 hôpitaux psychiatriques : Le Vinatier, Rouffach, Limoges (Esquirol), Laxou, Ville-Évrard, Sainte-Anne, Charles Perrens, Rennes et Montfavet).
Membre du Conseil supérieur des hôpitaux, il a par ailleurs participé au groupe de réflexion sur le PMSI en psychiatrie.
Il était donc tout naturel que Synapse l’interroge, compte tenu de la richesse et de la variété de son expérience. Parallèlement, le lecteur pourra apprécier la simplicité du ton et la sincérité du propos concernant un homme qui n’a pas la réputation d’être facile, mais qui nous a ouvert sa porte avec chaleur et humanisme.

Dominique Barbier : Monsieur Gérard Mosnier, pourriez-vous nous présenter le Centre hospitalier de Montfavet dans ses spécificités, quelle est son originalité, son caractère unique par rapport aux autres hôpitaux psychiatriques ?

Gérard Mosnier : L’histoire de cet hôpital est à replacer dans celle du Comtat Venaissin, situé initialement en dehors de ce qui constituait alors le Royaume de France et au sein duquel il existait une certaine unité, une solidarité. Celle-ci mise en place tout d’abord au niveau religieux permettait une prise en charge des indigents et des malades mentaux.
Sous l’Ancien Régime, l’hôpital était chargé de cette large mission auprès des communes de l’ensemble du Comtat Venaissin, il passait des conventions avec les différentes villes qui en contrepartie lui fournissaient des ressources, l’hôpital était “riche” à cette époque. À la fin du XIXe siècle, il comptait jusqu’à 2000 lits.
Et puis, il y a eu les vicissitudes des guerres. Sous la Première Guerre mondiale, il accueillit des patients venus de la Région parisienne et cet afflux de malades, dont faisait partie Camille Claudel, participa déjà à faire connaître cet établissement sur la France. Lors de la Seconde Guerre mondiale, il dut comme tous les autres hôpitaux se confronter à des difficultés financières, se répercutant sur le quotidien des patients, avec pour conséquence une forte mortalité. Aujourd’hui, il compte environ 600 lits intrahospitaliers, au total 1 300 lits et places d’hospitalisation sur une aire géographique couvrant tout le Vaucluse et le nord des Bouches-du-Rhône, soit un bassin d’environ 600 000 personnes. Il comporte 8 secteurs de psychiatrie adulte et 2 intersecteurs de pédopsychiatrie pour l’ensemble de cette zone géographique.
À partir des années soixante, se sont également développées des Unités pour malades difficiles (UMD).À terme, après restructuration, celles-ci devraient comprendre 80 lits. L’hôpital de Montfavet a toujours tenté d’anticiper les évolutions, il a ainsi structuré un secteur médico-social et social, ce qui n’était pas forcément évident dans le contexte des années 95-96.
80 lits en Maison d’accueil spécialisé (MAS), 50 places en Centre d’aide par le travail (CAT), 36 lits et places en foyer occupationnel et 20 places en foyer d’hébergement ont pu ainsi voir le jour. C’est un secteur composite, multifonctionnel, qui propose des réponses adaptées en sortie d’hospitalisation. Il est cependant encore insuffisant pour permettre l’orientation de tous les patients et va donc se développer dans l’avenir pour faire face aux besoins. L’établissement, c’est aussi 2 000 équivalents temps plein non médicaux, soit environ 2 200 personnes, une centaine de médecins, auxquels s’ajoutent encore 150 personnes stagiaires ou CES participant à l’activité hospitalière.
Les bâtiments s’étendent sur 60 hectares, sur lesquels se répartissent environ 50 unités de soins ; en dehors de ce site, il existe 150 unités ou structures de soins. Les liens avec les autres réseaux de soins, les GIP (Groupements d’intérêts publics) sanitaires sont importants. Des fédérations ayant une fonction de soins transversale complètent ce dispositif.

D. B. : Quel a été votre parcours ? Comment avez-vous pris vos fonctions de directeur de cet établissement ?

G. M. : Je suis arrivé dans l’établissement en 1983, comme directeur des services économiques. C’était une période difficile, avec des conflits plus ou moins marqués, entre personnes, avec les tutelles, les services techniques, les personnels de direction, le CA… Ce fut un contexte malgré tout facilitant pour moi, car les gens avaient besoin d’écoute, les liens se nouaient facilement. J’ai exercé ces fonctions pendant plusieurs années, puis je suis passé au service financier, au service du personnel, au secrétariat général,je suis passé en fait un peu par tous les postes en moins de dix ans. En 1990,j’ai été amené à remplacer le directeur qui s’était arrêté pour des raisons de santé, et quand il est parti à la retraite, j’ai postulé pour poursuivre les actions menées et permettre une continuité dans le travail entrepris.

D. B. : Existe-t-il une spécificité de la fonction de directeur d’hôpital par rapport à la psychiatrie ? Est-ce que cela exige des capacités propres par rapport à l’hôpital général ?

G. M. : J’avais déjà eu une expérience à la direction d’un hôpital psychiatrique, celui d’Étampes, ce fut un cadre formateur, puis ensuite, j’ai été directeur d’un centre hospitalier général en Région parisienne.
Je pense que c’est d’abord la capacité d’écoute qui est la plus importante dans un hôpital psychiatrique par rapport à un hôpital général. Une certaine humilité, un mode de fonctionnement adapté, pas de “pré-établis”, et beaucoup d’empirisme. Une réflexion sur l’organisation du travail et sur la position de l’ensemble des dispositifs de soins dans l’espace. Il y a beaucoup de réflexions à mener sur la stratégie. Être gestionnaire, c’est aussi gérer des équipes, des personnes et pas uniquement des budgets, ou des entités juridiques.
Il y a aussi une dimension spatiale et une ouverture qui par nature doit se gérer en symbiose avec des partenaires extérieurs multiples. À l’hôpital général, le référent est le plus souvent une collectivité territoriale unique, une commune, par exemple.
Il y a également les relations avec les hommes politiques et les partis différents, cela nécessite beaucoup de retenue dans le positionnement et d’empathie par rapport aux différentes démarches envisagées par les responsables locaux.
Nous avons également la demande de travailler avec les centres hospitaliers généraux (notre autarcie est nécessairement moins importante). On parle encore souvent d’asiles, mais dans la réalité, le centre hospitalier psychiatrique a besoin de se nourrir de relations avec le monde extérieur, avec les associations par exemple avec lesquelles il existe des liens forts.
Il y a la personnalité du directeur, certains axes sont plus accentués que d’autres, en fonction de ses sensibilités. Le fait d’avoir vécu longtemps de l’autre côté de la Méditerranée me donne sans doute une vision très internationale, un souci d’apprentissage par rapport aux expériences des structures hospitalières étrangères et de coopération avec les autres établissements hospitaliers étrangers.

D. B. : Est-ce dans ce cadre que vous présidez l’ASCEIDOH ?

G. M. : L’ASCEIDOH est une association ayant pour but une aide aux actions de coopération, menées principalement par l’établissement, et s’y associent des personnels hospitaliers et d’autres personnes extérieures qui ont un intérêt pour la coopération dans le domaine sanitaire. En dehors de cette association, beaucoup d’actions ont été aussi menées, notamment par l’intermédiaire d’accueil de stagiaires (par exemple tchèques, pays très sollicitant pour ces demandes de stages, mais cela va peut-être changer avec l’entrée de ce pays dans l’Europe). C’est un tissu relationnel important dans le monde, à poursuivre malgré les évolutions actuelles pas toujours favorables à ce type de démarche.

D. B. : Pour être directeur, il faut un sens politique, stratégique, des capacités d’ouverture, un sens du dialogue, une attitude de réserve, une façon policée de présenter et de faire avancer les dossiers. Quelles sont, selon vous, les qualités nécessaires pour faire face aux embûches ?

G. M. : De manière générale, pour exercer la fonction de directeur d’hôpital, il faut une ténacité forte permettant de faire aboutir les choses. Parfois on est dans l’anticipation par rapport aux besoins, mais il faut attendre le mûrissement des situations, pour ne pas s’épuiser inutilement. Il faut engranger les objectifs et les faire réapparaître quand ils sont réalisables. Par exemple, le projet médico-social était prêt avant 96, mais c’était plus difficile de le mettre en place avant ce moment-là.
Les ordonnances Juppé ont permis de le réaliser techniquement. Le dossier était déjà prêt à déposer auprès du CROSS quand les ordonnances ont été signées.

D. B. : Comment faire personnellement abstraction des difficultés, des peines, des rancunes, des joies que vous rencontrez ?

G. M. : Chacun a sa solution. Pour ma part, j’ai eu une jeunesse difficile, je me suis armé contre l’adversité. J’ai eu également un parcours professionnel difficile, en tant qu’enseignant dans des milieux difficiles, puis au ministère des Anciens Combattants, où je me suis vu confier des missions extrêmement complexes, qui nécessitaient un certain recul. Je ne suis pas insensible, mais j’essaie de ne pas être dans l’instantanéité, j’essaie d’être dans la réflexion. C’est un travail d’écoute et d’apprentissage. Je “récupère” ce qu’il y a de bien dans ce que me disent et font les gens, cela donne de la force. Et puis, je ne suis pas seul dans mon travail,j’essaie d’être le catalyseur d’une réflexion collective et individuelle, de fédérer un ensemble de sensibilités et de réflexions pour faire progresser l’hôpital.

D. B. : Quelle est votre position par rapport aux réformes de la psychiatrie, la tarification à l’activité par exemple ? Comment commenteriez-vous ces réformes, ces évolutions ?

G. M. : Le système de tarification avec un prix de journée a eu l’avantage d’accompagner des établissements en train de se constituer, notamment dans leur dimension sectorielle. Elle leur a permis de repenser leurs capacités hospitalières, leur a donné un aspect dynamique, avec notamment la mise en place d’alternatives à l’hospitalisation et leur substitution à une activité purement hospitalière.
Après, le danger est la dilution dans des actions de santé communautaires que l’on ne peut tarifer. La dotation globale a protégé les établissements dans leurs actions de soins et de prévention, mais elle a aussi des inconvénients. Ce système a protégé également les établissements encourageant le statu quo dans certains établissements où les décisions étaient difficiles à prendre.
À ce jour, on aurait intérêt à repasser à un système de tarification basé sur l’activité, cela permettrait de repositionner l’hôpital dans un certain nombre de domaines stratégiques, notamment de valoriser notre action dans les hôpitaux généraux. Nous sommes dans un système de forfait, ou de conventions, ce qui pose un problème de retour financier par rapport à notre activité. Par exemple, comment intervenir dans des cliniques privées ? Avec le système de tarification actuel, il n’y a pas de convention possible, la seule solution est la tarification à l’acte, qui permet des collaborations plus pertinentes et plus dynamiques.

D. B. : Au vu de l’évolution progressive des réformes, quelle sera selon vous la psychiatrie du XXIe siècle ? Qu’est-ce que vous pressentez ? Qu’est-ce que vous en imaginez ?

G. M. : Ce que je pressens est un peu ambigu, il existe des tendances contraires au sein même de la psychiatrie, il n’y a pas une unicité de points de vue dans la communauté professionnelle.
D’un côté, il y a ceux qui sont puissants et qui souhaitent que le CHG soit la base de l’action psychiatrique en termes d’hospitalisation, de rattachement des équipes soignantes et des équipes ambulatoires. Il y a ceux qui souhaitent encore la suppression des établissements pour ne travailler que dans la cité (alternatives, soins d’urgences…). Et puis il y a des personnes plus composantes dans l’avenir de la psychiatrie, dont je serais, qui sont partisans d’un équilibre dans le rôle de la psychiatrie à l’hôpital général sans que celui-ci ne soit le centre des soins psychiatriques. Le danger c’est un oubli de la sectorisation, ou une sous-estimation de la nécessité des hospitalisations. Il faut recentrer le dispositif pour passer des caps difficiles avec un équilibre sur les soins sectorisés, faisant disparaître des actions trop éclatées. Il faut repenser le système, le rendre plus fonctionnel. Il faudrait une complémentarité sur un même lieu, dans des modes de prise en charge. Par exemple en rapprochant la psychiatrie adulte et la psychiatrie infanto-juvénile. Le secteur est le lieu où ce rapprochement est possible avec des équipes parfois communes ou en travaillant côte à côte, en complémentarité. Il faudrait repenser le système de manière plus synthétique, et faciliter la proximité des locaux. C’est difficile de travailler ensemble quand on est éloignés et dans le travail en équipe et dans l’organisation du travail. Par exemple, pédopsychiatrie et psychiatrie adulte peuvent être confiées à un même responsable géographique de pôle.
Ce sont des axes forts à travailler avec des marges de progrès possibles. Tout ce que l’on gagnera en termes d’efficacité, de fonctionnalité, on peut le réinvestir sur d’autres plans où il existe des besoins, des demandes que l’on n’arrive pas à satisfaire.

D. B. : C’est un peu l’hôpital 2007 que vous venez de nous décrire là ?

G. M. : Dans l’hôpital 2007, il y a sûrement des éléments intéressants, mais ce n’est pas simplement 2007 qui va régler les problèmes. Il faut repenser la psychiatrie adulte et infanto-juvénile dans les politiques de prévention, d’écoute, d’accompagnement. Il s’agit aussi d’un rapprochement des prises en charge, familiales par exemple ; c’est un peu aussi le principe de l’unité enfants-parents (mère-bébé) qui existe sur l’établissement, mais ce serait sur un principe plus général, il ne s’agit pas que d’aspects ponctuels mais d’une approche plus globale des soins.
D’autres aspects pourraient redéfinir la place de l’hôpital psychiatrique dans ce dispositif à venir : la décentralisation d’un certain nombre de lits de l’hôpital, par exemple, tout en maintenant ce principe de l’hospitalisation qui protège dans certaines situations de crise et de réinsertion difficile. C’est un travail de réflexion qu’il faut mener, sans condamner l’hôpital, pour le repositionner dans l’espace par rapport à ses missions.
Par ailleurs, l’hôpital doit garder un aspect formatif important. On a vu s’estomper ces actions dans le domaine médical (disparition des internes sur l’établissement). Pour les équipes soignantes, ce dispositif a pu être maintenu, les frais ont été importants et continuent à l’être. L’hôpital est un lieu où l’on peut former, on a des locaux, des lieux de stages, la formation doit être développée.

Anne D’Anjou : L’hôpital psychiatrique a longtemps été le refuge des exclus de tous bords, et pas seulement de ceux qui présentent des symptômes psychiatriques ; doit-il continuer à avoir ce rôle, cette fonction de refuge, d’accueil ?

G. M. : Avec la sectorisation, peut-être certains ont-ils pu avoir l’illusion que l’hôpital allait recentrer son action sur le soin psychiatrique aigu et oublier la réinsertion, comptant sur la facilitation de l’accès au travail. Mais, si l’on regarde l’histoire, l’hôpital a toujours eu cette mission un peu par défaut. Il faut que l’hôpital l’accepte, il a une mission de soins, de réinsertion et d’accompagnement dans la vie sociale. Les foyers d’hébergement par exemple sont un soutien dans la prise en charge en CAT ; cela permet à un certain nombre de patients d’accéder au travail aidé et d’avoir un lieu de vie adapté. C’est un lieu de passage qui n’a pas vocation à accueillir en permanence. Pour certains patients, l’objectif est un retour dans la famille ; pour d’autres, cela peut-être un appartement individuel. C’est un dispositif visant à orienter et à essayer de faire évoluer la personne. Cela fait partie des moyens d’insertion qui agissent en complémentarité avec l’hôpital et permettent par exemple d’accéder dans de bonnes conditions à un CAT. Cela peut aider l’hôpital dans sa mission de faciliter le retour au travail, et à la vie sociale.

A. D’A. : L’hôpital doit s’adapter aux évolutions de la société. Quels sont les moyens de cette adaptation ? Est-elle parfois difficile à faire “passer” ?

G. M. : L’hôpital est très affectif, très possessif… Si l’on décide qu’une personne doit sortir, on a tendance à considérer que ce n’est plus à nous de la prendre en charge… Mais ceux qui doivent par la suite la prendre en charge n’ont pas forcément les mêmes moyens, les mêmes compétences… Cet aspect perturbe beaucoup les changements de statut des patients qui deviennent brutalement des résidents, des travailleurs, des citoyens ordinaires peu protégés des difficultés.
Il n’y a pas de conflits entre le secteur social et la part hospitalière, mais on a du mal à demander à l’hôpital de soutenir et d’aider le médico-social… Ce n’est déjà plus l’hôpital.

A. D’A. : En tant que directeur, vous avez une bonne connaissance des patients ; cette relation aux patients est-elle importante pour vous ? Comment s’établit-elle ?

G. M. : Je croise très souvent les patients, et j’en côtoie certains depuis très longtemps. Ils me connaissent, nous nous saluons, nous parlons ; j’ai parfois un rôle de confident et il s’établit une certaine complicité entre eux et moi. Il y a de la proximité et de l’éloignement ; plus l’établissement est grand, moins on est dans la proximité et dans la connaissance des patients et de leur situation. Il est difficile de maintenir le lien entre les différentes structures, on essaie de trouver des solutions, de développer des systèmes de communication, le développement d’intranet en est un, l’objectif est que les gens soient moins isolés, même s’ils sont loin de l’hôpital de référence. L’éclatement géographique est une gêne forte à la communication.

A. D’A. : Dans votre rôle, il y a aussi nécessité d’une certaine distance ?

G. M. : Les équipes fonctionnent au quotidien dans une grande proximité avec les personnes en souffrance. On perd parfois le recul nécessaire, certaines institutions ont fonctionné ainsi en vase clos, on a vu des patients en VAD pendant 20 ans, simplement parce qu’une prescription un jour avait été faite. Il faut parfois une certaine distance pour introduire une réorientation, amener des correctifs dans le fonctionnement de l’hôpital, pouvoir introduire du changement. La distance ne doit pas induire une méconnaissance des hommes et des situations.

A. D’A. : Quelles évolutions l’Europe va-t-elle apporter, va-t-on vers une “psychiatrie européenne”, notamment au niveau du droit ?

G. M. : Le droit européen s’est en premier lieu attaché au respect des droits de l’homme. La France a signé la Convention de Vienne sur la prévention des actes dégradants et tout ce qui concerne la protection des Droits de l’homme. Dans ce cadre, elle a été contrôlée, et je suis fier que l’hôpital de Montfavet ait été le premier établissement psychiatrique à recevoir la visite des experts européens. Les équipes du Conseil de l’Europe sont venues par deux fois, et cela nous a montré les exigences internationales qui sont en train de s’élaborer dans le domaine des soins psychiatriques. Les évolutions sont nécessaires et inéluctables. Il est nécessaire d’avoir l’accord du patient pour son hospitalisation, son traitement, qu’il puisse disposer d’une information correcte et complète. On le voit déjà dans l’accréditation et la mise en place de procédures d’évaluation, cela fait l’objet d’un certain nombre de recommandations. On note également une évolution des hospitalisations sous contrainte. Il s’agit de tout un contexte de suivi juridique sur la durée des placements, mais aussi sur la nature des soins et, en ce qui concerne les enfants, sur la validité des demandes d’hospitalisations émanant des parents.
Il existe déjà tout un corpus de règles liées à la jurisprudence du Conseil de l’Europe, de la Cour du Luxembourg, qui vont faire évoluer les différents États. Il existe également des recommandations mises en place par le Conseil de l’Europe qui peuvent être très contraignantes, par exemple sur le niveau de formation des soignants ou sur les temps de travail.

A. D’A. : Vous avez évoqué l’Anaes, les procédures d’accréditation ; votre établissement a été accrédité, comment s’est passée cette procédure dans votre établissement ?

G. M. : C’est un vécu difficile, car cela a demandé un très gros travail. On s’y est engagé sans savoir si on allait réussir à le réaliser. La taille de l’établissement nous a donné beaucoup d’appréhensions sur notre capacité à nous évaluer sur l’ensemble des référentiels. Les personnes qui se sont investies l’ont bien fait ; cela a nécessité beaucoup de temps et d’efforts. Si on y est arrivé, c’est parce qu’il y a eu un travail d’équipe, et que cela a généré une mobilisation générale face à cette situation nouvelle.
L’expérience est stressante. En une semaine, il faut fournir les documents, avoir les contrôles souhaités, répondre aux questions, mais le résultat est la reconnaissance du travail effectué. L’accréditation, outre la reconnaissance du travail et la valorisation de ce travail, nous a permis de mener dans le même temps le projet d’établissement, d’où l’intégration d’un plan d’amélioration de la qualité. En retour, la mobilisation autour du projet d’établissement a facilité l’accréditation. Cela marque une étape importante pour l’établissement. Il faudra du temps, mais on a tous les ingrédients pour qu’il y ait une suite, notamment dans la qualité des soins, tous les préalables ont été menés à bien. Il faut avoir la détermination de poursuivre l’action dans la durée et même de l’amplifier.

A. D’A. : Quelles sont pour vous les qualités de l’hôpital psychiatrique du futur ?

G. M. : Le caractère polymorphe, adapté à l’accueil, aux soins, à la réinsertion et la cohérence de l’ensemble de l’institution, et de l’ensemble du dispositif de soins. Cela rassure les familles, les patients, les personnes qui travaillent. Cette capacité à avoir un ensemble de réponses adaptées, une prise en charge globale qui puisse répondre à l’ensemble des problématiques des patients, cela ne fonctionne que si toutes les liaisons sont assurées entre les différents intervenants dans le projet de sortie des patients, et avec les familles.
Cela implique une prise en charge continue dans le temps. C’est un aspect qui me gênait à l’hôpital général, et auquel je tiens. Ce n’est pas forcément en améliorant la proximité qu’on améliore le dispositif, c’est une limite à la sectorisation, et à l’accessibilité. L’accessibilité n’est pas que la proximité du domicile. Il faut pouvoir donner la chance aux patients d’entrer dans le soin dans des instants privilégiés, en travaillant sur des sites privilégiés, ceux des soins somatiques, de l’hébergement d’urgence, des services d’urgence médicale, et tous les lieux dans lesquels on peut travailler l’accès aux soins psychiatriques.

D. B. : Diriger un hôpital, c’est avoir affaire à de grands groupes de pression, pouvoir médical, pouvoir administratif, pouvoir infirmier. Un directeur d’hôpital a pour fonction de maintenir une homéostasie et en même temps de diriger, d’innover ; comment vous situez-vous par rapport à ces pouvoirs-là ?

G. M. : Des forces se constituent en fonction des statuts, c’est une des composantes de l’hôpital, mais ce n’est pas la seule. Il y a aussi des forces liées au pouvoir politique, aux syndicats, des forces émergeant du personnel administratif ou technique, et elles prennent de plus en plus conscience de leur rôle dans l’établissement. Il faut qu’il y ait un équilibre entre les différents pouvoirs. L’émergence de la fonction soignante est souhaitable, sans aller dans les excès que l’on trouve dans certains pays. Il s’agit d’un rééquilibrage des pouvoirs, mais aussi d’une reconnaissance de l’importance des fonctions d’encadrement.

D. B. : Une lecture de l’organigramme du service donne à penser que les infirmiers sont sous la responsabilité du directeur des soins, lui-même répondant au directeur général, lui même rendant compte au directeur de l’ARH. Cela donne l’impression d’une marginalisation des médecins. Entre hypertechnicité et mandarinat, où se situe le rôle du médecin, la notion de partage de compétences et de travail de consensus ?

G. M. : Je pense qu’on peut travailler de manière transversale dans la stratégie. Dans la direction et la gestion des personnels en équipe, il faut redéfinir le travail de chacun. Les médecins se plaignent des fonctions administratives trop importantes qu’on leur a données. Il faut revoir les choses, soit les médecins ont une double fonction médicale et gestionnaire (les responsables d’équipe doivent alors être formés dans ce sens) ou alors ils ont un rôle essentiellement dans l’organisation des soins. Dans ce cas, ils délèguent la direction des équipes à des personnes plus à même de le faire, et ayant le temps disponible.
Pour l’instant, un aspect n’est pas délégué aux cadres supérieurs, c’est le cas des psychologues actuellement sous la responsabilité des chefs de service, et il y a une situation conflictuelle parfois. Soit un chef de service veut superviser le cadre supérieur et la responsabilité des équipes, soit il délègue et se repositionne sur le fonctionnement, le développement et la qualité des soins.

D. B. : Étant juriste, vous savez qu’il y a une évolution actuelle vers la judiciarisation de la psychiatrie avec pour corollaire la responsabilisation systématique du chef de service sans qu’il ait les moyens fonctionnels ou organisationnels d’orienter réellement son service et son exercice. Qu’en pensez-vous ?

G. M. : Il y a parfois confusion dans l’esprit du juge, les choses ne sont pas suffisamment claires. Le directeur d’hôpital est mis en cause dans l’organisation du service, le règlement intérieur de l’unité. Souvent il y a confusion, les médecins sont ennuyés par le juge sur des problèmes de fonctionnement de service. Si l’on considère la conception du soin, sa continuité, la compétence des personnels est de la compétence du chef de service ; elle est également de sa responsabilité. Si l’on met en cause l’organisation et les moyens mis en œuvre, c’est la compétence du directeur, et donc sa responsabilité.
Il y a judiciarisation, mais pour y répondre, il faut être clair dans les responsabilités de chacun. Ce n’est pas en mêlant les responsabilités que l’on va en être exonéré. L’hôpital doit s’adapter aux nouvelles exigences du juge dans les domaines de la traçabilité des soins et de l’information du patient.

D. B. : Y a-t-il une évolution spécifique du droit en psychiatrie ou une évolution vers le droit communautaire ?

G. M. : Je suis de plus en plus partisan du droit spécifique, mais on est plutôt dans la banalisation psychiatrique, comme toutes les autres disciplines médicales. La psychiatrie retrouve une place de discipline comme toutes les autres spécialités médicales, avec les mêmes prérogatives, les mêmes droits. La plupart des règles qui s’appliquent à la psychiatrie sont des règles communes.
Il existe encore des spécificités dans les procédures de nomination, mais je ne suis pas sûr qu’elles durent, ni de l’absence de dangers pour les établissements.
En termes de planification, les SROSS en MCO vont intégrer la psychiatrie.

D. B. : Il y avait par cet attachement statutaire une certaine indépendance des praticiens ; si un avis local est émis pour ces nominations, quelles garanties d’indépendance a-t-on par rapport au préfet ? Quelle nouvelle organisation statutaire envisager selon vous ?

G. M. : On peut imaginer qu’un avis " local n’empêche pas la nomination par le préfet de région ou le ministre. La nomination pourrait rester nationale, mais avec un avis local. À mon niveau, je vis mal qu’on m’impose des gens non souhaités au sein de mon équipe. Je trouve anormal, qu’on impose des chefs de service ou des praticiens extérieurs à l’établissement. Il y a de plus en plus de postes de praticiens avec des conditions d’exercice très spécifiques (par exemple auprès des établissements de détention) ; l’idée c’est de permettre l’adéquation la meilleure possible entre les spécificités de ces postes et les compétences et expériences de chaque praticien. Il faut décentraliser les nominations et les éclairer par des avis locaux.

D. B. : En tant que directeur, dans les projets de votre établissement, lesquels souhaitez-vous prioriser ? Si vous aviez une baguette magique, lequel réaliseriez-vous en premier : l’Unité pour malades agités et perturbateurs (UMAP) compte tenu de l’embolisation des services par l’accueil des détenus, le développement de la gérontopsychiatrie, la psychiatrie de liaison à l’hôpital général… ?

G. M. : Tout est urgent, il existe encore des manques dans notre dispositif, des insatisfactions, des incomplétudes. Certaines réponses donnent satisfaction à des besoins immédiats, mais ont un effet de feed-back sur d’autres aspects du fonctionnement de l’hôpital. Je pense que l’accueil est le domaine auquel il faut accorder la plus grande priorité. Ce serait trouver une réponse commune, pas forcément sectorisée, à ces situations de crise et d’urgence, préfigurant les évolutions réglementaires nécessaires. Une période d’observation avant placement sous contrainte, cela diminuerait les durées d’hospitalisation. Cela faciliterait aussi le fonctionnement de l’hôpital, et pourrait régler de manière transitionnelle le problème des détenus, même si à terme les UCSA se mettent en place. Les patients et les familles y trouveraient leur compte.

D. B. : Comment abordez-vous les réticences des personnels, les problèmes budgétaires, la paupérisation des services de soins, puisqu’une partie des évolutions se font à budget constant ?

G. M. : Ce n’est sûrement pas un dossier facile, il pose des questions sur la taille, les moyens, le positionnement des structures, leur articulation avec les unités d’entrée et avec l’ensemble du dispositif hospitalier. Cela implique des modifications importantes dans notre dispositif de soins intra-hospitalier.
À moyens constants, nous devons accepter de remettre en cause certains dispositifs opérationnels. La tarification à l’activité sera peut-être une solution.

D. B. : C’est aussi le problème de l’intersectorisation, des fédérations. Pour la crise, ça marche à Toulouse, mais à Saint-Jean-de-Dieu, ils ferment leur unité correspondante ? Il y a la crainte d’une surspécialisation des services, du soin.

G. M. : Ces dispositifs doivent être bien pensés par les équipes psychiatriques et avalisés par les équipes d’urgence, avoir un large consensus. Les moyens sont prélevés sur les secteurs ; aussi doivent-ils en tirer des avantages, sinon, les conflits arrivent.
S’il n’y a pas de conséquences en termes de prévention de l’hospitalisation, cela entraîne une remise en cause du système. Il faut quelque chose de très protocolisé dans la durée, les modalités d’accueil, d’orientation, la suite des soins et peut-être accepter l’idée que certains patients soient tout de suite réorientés. L’intersectorisation n’est pas non plus une panacée.

D. B. : Quels sont les autres domaines à prioriser, la gérontopsychiatrie ? Comment obtenir le maximum d’agréments ?

G. M. : Le Vaucluse est un département difficile dans ce domaine, il existe un émiettement des structures. Il existe plus de 30 structures publiques sans compter le nord des Bouches-du-Rhône, secteur très important. Le privé est également très présent, progressant avec la demande. Il n’y a pas de solidarité entre l’ensemble des acteurs, et les moyens financiers sont faibles ; il y a peu de marge de manœuvre pour discuter des prestations. Il existe de plus une ambiguïté, les maisons de retraite médicalisées sont sous la responsabilité de la DASS et du Conseil général. Cette double tutelle ne facilite pas les relations. Il y a eu des périodes où il y avait plus de proximité dans les actions entre les hôpitaux généraux, les hôpitaux psychiatriques et les maisons de retraite.On a l’impression actuellement d’un certain desserrement des liens.
Vu le vieillissement des populations, ce secteur d’activité devrait être privilégié pour aboutir à un dispositif de soins opérationnel et adapté aux besoins futurs.

D. B. : Pensez-vous que la création d’un foyer à double tarification (FDT) pour les personnes âgées soit également une priorité ? Cela permettrait des soins spécifiques et un financement partiel par la CAF et les ressources personnelles.

G. M. : On souhaite déjà pouvoir le mettre en place dans le domaine des adultes handicapés, gravement dépendants. I l faut pour certains patients des prises en charge soignantes spécifiques, reconnues et adaptées, entre la MAS, financée par la Sécurité sociale et le FO financé par le département, il faut permettre des capacités d’évolution dans le cadre du médico-social.
Il y a aussi le problème du vieillissement des populations prises en charge dans les MAS, pour lesquelles il faut créer des structures adaptées, des maisons de retraite fortement médicalisées, afin d’éviter la promiscuité entre de jeunes adultes agités et des personnes vieillissantes et aussi fragilisées.

D. B. : Que pensez-vous des patients “chroniques” de l’hôpital ? Peut-on envisager une fédération ou un intersecteur pour les regrouper ? Il y a des patients pour lesquels on pourrait mettre en commun des moyens, lutter contre l’illettrisme par exemple ?

G. M. : Nous n’avons rien organisé dans cet esprit-là. Tous les patients ont vocation à sortir de l’établissement. Il faut trouver des solutions adaptées, des lieux de vie avec des fonctions éducatives. Pour le moment, nous sommes dans une dynamique de solutions adaptées pour des patients qui ont des orientations. On doit aussi recenser les patients pour lesquels il n’y a pas à ce jour de solutions à court terme. Ils sont souvent confrontés a des problèmes de sociabilité, ils sont souvent régressés, incapables de vivre en société. Il faut donc trouver des solutions adaptées sur mesure.
Ils nécessitent des lieux de vie, des aides simples par rapport à la vie au quotidien. Il faut un minimum de moyens ; souvent, ils n’ont pas de famille, peu de moyens. Il faut des réponses adaptées en fonction de chaque type de situation.

D. B. : Ces projets (suppressions et évolutions de structures) nécessitent parfois des remaniements en termes de composition des équipes en différentes catégories professionnelles, cela peut aussi générer des conflits ?

G. M. : Il peut y avoir effectivement des réactions du personnel, mais il faut matérialiser les choses, les traduire en termes de prestations supplémentaires, concrètes, cela diminue le risque de conflits interprofessionnels. Il faut une certaine souplesse d’effectifs en nombre et en qualification et permettre des transformations pour s’adapter aux situations.

D. B. : Le directeur d’hôpital a une fonction paternelle, faire accepter la perte en fait partie ?

G. M. : Dans ma propre fonction paternelle, j’ai eu beaucoup de satisfactions, cela me conforte dans ce rôle symbolique. Il y a un aspect formatif : apprendre aux autres ce qu’il faut faire ou ne pas faire, être plus proche des personnes. Parfois, j’ai aussi un rôle de sanction, de rappel à l’ordre, mais c’est surtout la crainte anticipatoire qui fonctionne, la sanction est très rare.Tuer le père ou s’en affranchir ? C’est un aspect affectif avec ses collaborateurs. On travaille souvent dans une relation de proximité et c’est toujours difficile de vivre un départ ; certains collègues n’acceptent pas, moi, j’en souffre, mais j’aide plutôt mes collaborateurs à partir lorsqu’ils le souhaitent.

D. B. : Il vous arrive d’entendre des choses injustes sur le “bon père”, quelle est votre réaction ?

G. M. : J’entends et j’accepte. Si c’est la personne elle-même qui me les dit, j’essaie de la convaincre, si c’est par personnes interposées, je ne peux que le regretter.

D. B. : Dans deux ans et demi, vous prendrez une retraite bien méritée, quoique je doute qu’un homme comme vous puisse ne plus intervenir dans la cité. Si vous aviez un message à transmettre à votre successeur, quel serait-il ?

G. M. : C’est difficile de transmettre un message à son successeur ; autant les missions de directeur sont bien établies, autant la façon de les remplir est très personnelle (histoire, sensibilité, capacité d’adaptation). Ce serait prétentieux de lui dire comment gérer les problèmes. C’est à lui de voir comment gérer la situation en fonction de sa personnalité. Je peux simplement lui décrire la situation et lui dire comment j’ai essayé de la gérer.
J’essaie d’être dans la proximité avec les gens. Le fait d’avoir vécu en Algérie m’a mis en contact avec les populations, cela rend proche des gens, mais ce n’est pas la culture de tout le monde ; chaque individu a des réponses adaptées à sa personnalité. Des personnes gèrent leur relationnel différemment et s’en sortent très bien.
Le rôle de directeur d’hôpital nécessite une cohérence dans le temps et dans la transversalité que l’on pourrait résumer ainsi :“Je dis ce que je pense, je fais ce que je dis”.

D. B. : Vous venez de définir la fonction paternelle !

G. M. : C’est peut-être pour cela que j’ai été un bon père !

Documents joints

  • Entretien avec Gérard Mosnier, par Anne D’Anjou et Dominique Barbier - Paru dans Synapse - n° 209 - novembre 2004

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