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La passion dans le transfert

samedi 26 mai 2007, par Monique LAURET

Par Monique LAURET,
dans le cadre des 6 èmes journées de l’ANREP,
Colloque sur la Passion du 25 et 26 mai 2007 en AVIGNON

La question du transfert concerne la question de la vérité, dans ce laboratoire des passions humaines qu’est la psychanalyse. Vérité cachée au coeur des vivants, chez lesquels, la parole comme semence de vie, fait germer en chacun l’acte de présence à lui-même et à la vie ; dans « l’acte d’une vie qui s’accomplit en se donnant dans la chair. » pour reprendre les mots de Denis Vasse dont le travail sur ces questions me parait d’un apport majeur.
Chez l’analyste, il s’agit de conserver à l’intérieur de cette expérience « la possibilité d’un certain fil qui nous garantisse tout au moins que nous ne trichons pas avec ce qui est notre instrument même, c’est-à-dire le plan de la vérité. » dit Lacan dans son séminaire L’angoisse, livre X, p.70.

Or, la psychanalyse, à partir de cette double question de la vérité et de la parole, n’est pas une pratique sans risques. Ce qui peut faire le plus de bien, peut aussi faire le plus de mal, quand l’instrument de la vérité est subverti par une parole non vraie, une parole fausse. Il y a une dangerosité du transfert, remarquait Freud, qui peut s’avérer « un moyen dangereux entre les mains d’un médecin non consciencieux », écrivait-il dans les Leçons d’introduction à la psychanalyse, XXVIII, G.W.X, 407.
Certains transferts historiques dans l’histoire de la psychanalyse, nous ont montré que l’irruption de la passion, dans le moment le plus fécond de la cure, peut dans certains cas, ne pas se produire sans dégâts pour les deux protagonistes engagés dans cette singulière expérience, le couple analyste-analysant en prise aux mouvements psychiques tumultueux de la cure. On manie l’explosif des pulsions et des émois psychiques les plus dangereux, disait Freud dans son article « Observations sur l’amour de transfert » in La technique psychanalytique, p.130 ; mais dans un but de les maîtriser dans l’intérêt du malade. Le sujet saisi de passion est dépossédé de lui-même, le risque est celui de ne plus être. L’analyste, muni de sa boussole analytique, doit maintenir le cap, quelque soit la météo psychique, celui de faire advenir du sujet !
« Les seuls obstacles vraiment sérieux se rencontrent dans le maniement du transfert » constatait Freud, p. 116. C’est une réflexion à reprendre sans cesse et à garder derrière l’oreille, de façon à limiter les risques d’accidents dans le transfert. Accidents que l’on constate malheureusement régulièrement et pour lesquels seule la parole permettra de limiter les effets. Seule la parole contribue au meurtre de la Chose. « Manier le transfert c’est régler sa pratique, c’est régler la jouissance. » dit encore Solal Rabinovitch in La folie du transfert.
Je propose de réouvrir cette question de la théorie de la psychanalyse, de la vérité et de la vie, de la vérité que seul le mensonge obère. Autour de cette question de la vérité, il s’agit de montrer, avec le transfert, quelles en sont les conséquences au plus intime de notre pratique.

Plusieurs questions sont à dégager :

- d’abord celle de l’irruption du moment passionnel dans la cure,
- ensuite ce qui fait qu’un analyste ne va pas tenir sa place, sa position : celle de faire barrière à la jouissance,
- puis la question de l’immense destructivité mise enjeux dans quelques accidents, travail profond de la pulsion de mort articulé à une haine du féminin et de la psychanalyse elle-même.

1. La passion dans la cure

Freud nommait « amour de transfert » la part d’idéalisation que l’analysant voue à son analyste. Cet amour est la condition d’une « névrose de transfert » qui se crée dans la cure, permettant le travail analytique lui-même. Cette entité de « névrose de transfert » sera dégagée par Freud en 1914. Il la désignera comme « l’objet d’étude propre de la psychanalyse » dans Au-delà du principe de plaisir, VI, G.W., XIII, 56.Guérir par l’amour, c’est la condition même du travail analytique. Le transfert s’impose pour Freud comme une dernière création de la maladie, permettant le déplacement (l’étymologie du mot transfert est transport), des produits psychiques morbides dans un mouvement qui permettra la mise à jour de la cause de l’impasse subjective, le refoulé.
Ce transfert est à la fois le levier de guérison de la névrose, mais aussi son obstacle. L’irruption de la passion signant la résistance, le transfert devient alors l’instrument de la résistance. Le transfert est un moment de fermeture de l’inconscient pour Lacan. Cela élargi pour lui la notion de répétition attachée au transfert, c’est une « pulsation temporelle qui le fait disparaître à un certain point de son énoncé » dit-il dans son Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, p. 118. Le transfert va être considéré pour lui comme un noeud gordien.
Dès 1926, la « doctrine du transfert » est consacrée par Freud, comme l’un des trois piliers sur lesquels repose la doctrine analytique des névroses, avec celui du « refoulement » et celui de « l’importance des pulsions sexuelles ». Psychoanalyse, G.W.XIV, 303.

Pour de nombreux auteurs psychanalytiques, le transfert a pris une extension très large, désignant l’ensemble des phénomènes qui constituent la relation du patient à l’analyste. Le transfert est un phénomène beaucoup plus complexe qu’il n’y parait, non seulement basé sur la notion de transfert/contre transfert qu’avait défini Freud. Ces ressorts du transfert. Freud les avait découverts avec le cas de sa patiente Dora. Dora qui lui claque la porte au nez, après une cure très courte, fin décembre 1899 ; lui permettant alors de découvrir ces effets de transfert, l’irruption d’un réel inédit au sein d’une relation, qu’il mettra quelques années à élaborer et à écrire avec la publication du cas en 1905. Dora, qui était prise dans un noeud conflictuel entre l’attachement au père, la séduction de Mr K et sa fascination pour Mme K, objet de désir du père, fait payer Freud. Elle se venge sur lui en l’abandonnant, comme elle s’imagine avoir été déçue et abandonnée par Mr K. Elle met en acte une part de ses souvenirs et de ses fantasmes au lieu de les remémorer dans la cure, pense Freud.

Le transfert est ce qui fonde l’action de la psychanalyse, avec le dispositif de la cure ; il est le « corps pur » de la psychanalyse. Il est lui-même placé en position de soutien de la parole, qui est le symbole par excellence.
La parole fait l’homme, elle médiatise le désir humain pour Lacan « La parole est cette roue du moulin par où, sans cesse, le désir humain se médiatise en rentrant dans un système de langage » écrit-il dans le Séminaire, livre I, « Les écrits techniques de Freud », p. 203. Le transfert doit s’établir dans une confiance réciproque, la cure doit pouvoir se dérouler du début à la fin dans la confiance, l’analyste a la vie psychique de cet autre entre les mains. La confiance ne peut s’éprouver que dans la reconnaissance de l’un par l’autre ; d’une part celle d’un sujet en souffrance, dans en une demande de ne plus ou de moins souffrir et d’autre part, celle d’un autre, placé en position d’analyste, de celui qui peut écouter, mis en place de « sujet supposé savoir ». L’analyste suscite le transfert d’occuper cette place.

Le transfert est un morceau de répétition du passé, « automatisme de répétition » disait Lacan ; scène du passé à rejouer dans la cure, de façon à substituer la remémoration à la répétition, jusqu’à l’éclosion de la passion. La présence du passé, telle est la réalité du transfert.

Le transfert est sexuel, et ce sexuel fait irruption dans la cure, tel Alcibiade débarquant dans le Banquet de Platon, déclarant sa flamme complètement ivre en embrassant et couronnant Agathon, sans voir Socrate , aveuglé qu’il était par des bandelettes sur les yeux, alors qu’il souhaitait solliciter le désir de Socrate. Lacan a articulé cette question du transfert à partir de ce remarquable texte sur l’Amour et la Beauté qui traverse les siècles sans une ride. Il avait choisi ce texte car il recèle quelque chose de tout à fait radical quant à ce ressort de l’amour. Dans cette relecture époustouflante du dialogue de Platon, Lacan lit la fonction de l’amour qui s’active aussi dans l’amour de transfert, nous indiquant essentiellement la position fondamentale du désir, celle de viser un objet et non un sujet ! L’objet a, cause du désir. C’est une compréhension du rôle déterminant de l’objet du fantasme dans la mise à jour du transfert, pour qu’opère la « métaphore de l’amour », la substitution de l’eromenos (l’aimé) à l’erates (l’aimant). Ce que Socrate sait et qu’il renvoie à Alcibiade dans cette phrase « tout ce que tu me dis là à moi, est pour lui » est qu’il n’y a de surcroît pas d’objet qui ait plus de prix qu’un autre. Alcibiade, lui, est pris dans son transfert à Socrate ;« Toi, tu n’as pas besoin d’instruments, et c’est en proférant de simples paroles que tu produis le même effet » lui dit-il de manière élogieuse. Prêter l’oreille aux propos de Socrate le laisse « troublé et possédé » rajoute-t-il. Alcibiade est possédé par un amour dont on peut dire que le seul mérite de Socrate est de le désigner comme amour de transfert et de le renvoyer à son véritable désir. Tels sont les points que Lacan a voulu fixer de cette relecture du Banquet, celui de l’objet du fantasme et celui du désir d’analyste illustré par le désir de Socrate. Alcibiade est pour Socrate le message du réel. Le transfert donne l’occasion de se confronter à l’objet propre, a, via son semblant dans l’analyste qui l’incarne.

Cette reproduction en actes du passé va permettre une récidive amoureuse, c’est-à-dire un réveil pulsionnel par le biais du transfert. Chez Mélanie Klein, le transfert prend racine dans les toutes premières relations d’objet, dans les mêmes processus précoces qui les déterminent « Mon expérience est qu’en débrouillant les détails du transfert, il est essentiel de penser en termes de situations totales transférées du passé dans le présent, et aussi d’émotions, de défenses et de relations d’objet. » écrit-elle dans « Les origines du transfert » in Le transfert et autres écrits, PUF, p. 23. Il y a quelque chose de créateur dans la manifestation du transfert, dans l’apparition des modes permanents selon lesquels un sujet constitue ses objets.

La passion construite de toutes pièces dans la cure pourra alors être analysée, la vague d’émotions et de sentiments oubliés ramenée à ses origines infantiles, à partir du choix objectal de l’enfance et des fantasmes tissés autour, de façon à faire faire un pas psychique de plus au patient. La psychanalyse vise à libérer le désir du sujet de l’emprise du fantasme, en le vidant de sa jouissance par le biais de la parole, seul acte au sens plein du terme. Elle permet de s’alléger du passé pour rendre possible le présent dans la présence à l’autre et à soi même. La sortie du fantasme permet le sentiment de réalité, la prise dans la texture symbolique.

Le transfert se confirme comme le « pôle magnétique » du champ de la psychanalyse. Mais il n’acquiert son statut d’analytique qu’en posant le principe de son élaboration et de son dépassement.

2. La passion comme obstacle au désir d’analyste

L’analyse se pratique avec des règles, dont celle de l’abstinence et de la neutralité. La neutralité est un concept défini par Freud et qui signe la spécificité de la psychanalyse. L’abstention permet la temporalité dans la cure et le déploiement du fantasme.
Il y a un interdit de chair dans cette rencontre particulière de deux désirs, celui de l’analysant et celui de l’analyste. Lacan a pointé cette question particulière du désir d’analyste comme pivot du transfert, qu’illustre le désir de Socrate. Dans la position que l’analyste se doit d’occuper « il s’agit de ce qui est au coeur de la réponse que l’analyste doit donner pour satisfaire au pouvoir du transfert » dit Lacan dans son séminaire Le Transfert, « l’analyste et son deuil » ; l’analyste doit s’absenter de tout idéal d’analyste, il doit extraire de lui cette fonction d’idéal du moi, même s’il est devenu lui-même cet objet a, dans sa pratique et pour sa pratique. L’acte véritable de la psychanalyse est porté par le désir de l’analyste. L’analyste doit se laisser retirer cet objet sublimé a, centre du fantasme, par l’analysant en fin de cure, objet construit comme pure affaire de logique, qui doit choir par un effet de coupure. Pour Lacan, le Christ s’est fait objet a de Dieu en tant qu’objet chu. L’objet a constitue le reste de l’opération de division qui a formé un sujet, condition fondamentale du rapport à l’Autre. Le sujet se constitue par le désir de l’Autre.
Lacan considérait cet objet a comme sa seule invention.

La position de l’analyste dans la cure, dépend de son propre désir. Il faut rappeler que le désir s’organise à l’intérieur du champ clos de l’unité subjective première. Un objet est cause du désir et appartient à l’extérieur, en tant qu’il a été perdu et qu’il faisait partie du sujet d’avant l’unité subjective. Le fantasme tente de recréer cette unité subjective première et dans la phénoménologie du désir, l’objet n’apparaît pas comme ayant été perdu.
Le désir de l’homme est le désir de l’Autre depuis Lacan. L’homme ne peut trouver son accomplissement qu’au-delà du principe du plaisir. La pulsion tente d’être satisfaite par un objet, le désir lui ne l’est jamais. Le désir cherche son unité dans l’altérité qui fonde son unité désirante ; cela ne se produit que dans la rencontre vraie, dans l’acte de présence. « Ce qui fait vivre en homme c’est la rencontre avec un autre quand s’accomplit la vérité du désir » dit Denis Vasse et que je reprends, dans la reconnaissance de lui-même dans un Autre en tant qu’il est comme lui le sujet de la parole. La satisfaction pulsionnelle se substitue à la vérité du désir de l’homme. Par le biais du transfert, l’acte de la parole entre dans une dimension symbolique.

Que se passe-t-il quand dans la rencontre de ces deux désirs analysant-analyste, se produit un débordement du cadre du côté d’un passage à l’acte sexuel, la transgression sexuelle ? Il s’agit de la transgression la plus grave dit Louise de Urtubey dans Si l’analyste passe à l’acte, l’autre analyste qui a travaillé sur le même sujet que moi. Ces passages à l’acte sont-ils à entendre comme symptôme de la psychanalyse, effet de cette incompatibilité existante entre l’idéal du moi et la question de l’objet a, cause de notre plaisir d’analyste. Effet plutôt d’un contresens pulsion désir, ouvrant à la confusion entre vie et mort, entre jouissance et joie. Ces difficultés existent depuis le début de l’histoire de la psychanalyse, on y retrouve les noms de Ferenczi, Reich, Stekel, Jung, Jones et bien d’autres. Ils étaient au départ dans une identification dans une sorte d’idéal aux maîtres ; le cadre était à inventer, ils « tâtonnaient » si l’on peut dire. Ils avaient du mal à se soumettre à la règle freudienne de l’abstinence et de la neutralité qu’ils trouvaient trop froide. Le cadre comprend les règles éthiques intériorisées provenant de l’identification dans le surmoi et l’idéal du moi au père représentant de la loi, à l’ancien analyste, aux figures parentales surmoïques ou introjectées et établies dans l’idéal du moi, nous dit Louise de Urtubey.
Ces passages à l’acte valident une position érotomane chez les deux protagonistes, « cet émouvant discours m’est adressé » chez l’analyste, et « je suis l’élue » chez l’analysant, le plus souvent des femmes. Une pathologie narcissique entendant ignorer le réel.

Dans les cas célèbres de l’histoire de la psychanalyse, on retrouve celui de Sabina Spielrein et Jung. Ferenczi et Gisela Pàlos. Yung d’abord, dont la sensibilité émotive le rapprochait des femmes, s’était pris de passion pour une de ses jeunes patientes qui souffrait d’une hystérie grave avec un épisode psychotique qu’il a suivi en 1904. Elle a représenté pour Jung son « cas d’apprentissage », son diagnostic posé a été celui de « psychose hystérique ». Il l’a sortie du risque psychotique mais a certainement laissée sa cure inachevée, l’ayant entraînée dans des méandres d’un amour de transfert passionnel en 1908, pour l’abandonner ensuite dans la dépression. Sabina Spielrein désirait agir son fantasme, avoir un fruit de leur amour, un fils imaginaire qu’elle nommait Sigfried, qui l’accompagnait dans son travail théorique, les « deux fruits de son amour » son travail analytique étant vécu aussi comme ce fruit. Jung n’a certainement pas pris la mesure de ce qu’il avait entraîné dans son psychisme, il a simplement fui par peur pour lui en s’en plaignant auprès de Freud. Cela a été l’effondrement pour Sabina, mais elle aussi est allée voir Freud qui l’a aidée à guérir en partie de ce transfert « Vous voilà mariée, ce qui signifie pour moi que vous êtes à demi guérie de votre attachement névrotique à Jung » lui dit-il alors qu’elle venait d’épouser un médecin, le Dr Scheftel.

Ferenczi, l’enfant créatif de Freud, s’était attaché aussi à une de ses patientes Gizella Pàlos, qui avait toutes les qualités d’une vraie compagne de vie. Cette histoire arrivait vingt ans après l’affaire de Jung, Freud ne donna pas son accord au départ, bien qu’il fut quelque temps plus tard charmé par les qualités de cette femme. L’histoire s’est compliquée ensuite quand Ferenczi tomba amoureux de la fille de Gizella qu’il se mit à suivre pour dépression et inhibitions. La confusion fut totale quelque temps, puis il se décida à épouser la mère, devenue analyste entre temps, abandonnant la fille.

La passion, ce que réactivent ces passages à l’acte dans les cures. Passion logique, déduite d’une volonté d’ignorer l’emprise captivante de l’Autre maternel. Passage qui se manifeste dans certaines fins de cure, remarque Roland Gori dans Logique des passions. Confusions, dans lesquelles certains analystes peuvent se laisser entraîner si le désir d’analyste n’est pas suffisamment arrimé. Passion qui permet de maintenir l’attachement à l’objet primaire, la satisfaction pulsionnelle et le maintien du grand Autre primordial. Asymétrie de la rencontre où l’un se retrouve en position d’objet du désir de l’Autre, dans une jouissance symptômale mais non désirante. Ravage psychique que cette aspiration à combler l’Autre et à être comblé par lui.

Confusion, quand cette déroutante découverte de l’inconscient, plonge les deux protagonistes dans la confusion du grand Autre et du petit a, bloquant l’opération analytique, l’effet de coupure permettant le détachement du petit a dans l’Autre pour l’analysant, la traversée du fantasme. Confusion, du côté du désir de l’analyste, qui s’identifiant à ce grand Autre, ne se laisse pas retirer l’objet.

3- Le travail de la pulsion de mort

Sabina Spielrein a été la première a émettre l’idée d’un concept d’ « instinct de mort » travail élaboré en 1910, dans son lien à Jung, comprenant que l’ambivalence du sentiment amoureux contient en lui-même les germes de sa destruction, que la pulsion sexuelle contient en ellemême une composante destructrice. Travail que Jung voulut reprendre à son compte, la décevant doublement et travail que Freud reprendra dix ans plus tard dans Au-delà du principe de plaisir, posant la notion de pulsion de mort, Todestrieb.

Une immense destructivité est à l’oeuvre dans ces passages à l’acte sexuels analyste-analysant, le plus souvent des femmes. Freud écrivait en 1915, dans son article Observations sur l’amour de transfert,
« Je n’écris pas pour ma clientèle, mais pour des médecins aux prises avec de graves difficultés ». Il s’agit d’une des difficultés les plus graves du déroulement de la cure analytique, laissant le sujet en analyse englué dans une jouissance incestueuse, bloquant son accès à son désir et à son statut de sujet. Ces « accidents du travail », comme les nomme Claude Dumézil, se situent dans la transgression, s’autorisant « l’inceste psychique », terme avancé par Pontalis sur la réaction thérapeutique négative et que je pose pour ces cas là.

Il s’agit d’inceste psychique pour l’analysant qui régresse et ré ouvre sa sexualité infantile durant la cure. L’analyste, mis en position d’imago parentale, entre dans son imaginaire et ses fantasmes. Introduire la sexualité dans ce cadre là crée une effraction psychique, l’irruption d’un réel sexuel sur la scène imaginaire de l’analysant, de l’ordre du traumatisme. C’est Ferenczi qui avait approfondi la question du traumatisme, même si Freud en avait établi le concept. Hypothèse Ferenczienne du traumatisme qui témoigne de l’inévitable de la séduction liée à l’objet, un « objet en trop » qui marque de son empreinte quantitative la constitution de l’objet primaire interne. Se faire l’objet en trop du psychisme d’un autre en cure, altère cette constitution du bon objet interne. C’est mon hypothèse.
Agir son fantasme laisse le sujet vide. Un repère essentiel de son identité disparaît momentanément. Cela peut s’accompagner d’une forme particulière de dépersonnalisation qui n’est pas la psychose, mais simplement un certain sentiment d’irréalité, ou l’impression que ce qui arrive ne concerne pas directement le sujet. Agir le fantasme laisse le sujet dans la jouissance incestueuse, dans la croyance de la toute puissance de la pensée, de rencontrer enfin l’objet perdu. Le fantasme ne peut plus se déployer dans la cure et se résoudre par la parole, par la remontée à la conscience de ce qui se tenait refoulé, enseveli. Le désir du sujet ne peut advenir, il reste « encastré », pétrifié dans la folie d’un fantasme incestueux. Le sujet reste aliéné, en dehors du sentiment de réalité, en dehors de la prise dans la texture symbolique.

Il s’agit de violence incestueuse chez l’analyste qui se laisse prendre au jeu de la passion, même s’il n’est pas sans savoir. Ces passages à l’acte représentent une agression contre la psychanalyse, en s’attaquant à ce qui la fonde : les ressorts du transfert, en s’attaquant à l’apport majeur de Lacan : l’intervention du registre du grand Autre, du symbolique, dans la construction du sujet humain. C’est une mise à mort de la pensée.
Cette agression contre la psychanalyse s’en prend à l’idéal du moi et au narcissisme de chaque analyste, au plus profond de lui-même, jusqu’à quelquefois créer un effet de sidération au sein même de l’institution, responsable certainement de ce que Lacan appelait la « passion d’ignorer », ce rideau de silence qui se forme autour de ce qui dérange. Cette haine contre la psychanalyse serait-elle à entendre comme reproche adressé au père, au père de la psychanalyse ?

La haine contre le féminin y est sous entendue, la charge en était complaisamment laissée à la patiente pour Freud et pour bon nombre de nos contemporains.

La question à poser dans cette attaque contre les ressorts du transfert est celle de la mise en jeu des pulsions de destruction mobilisées dans ce type de cure, dans la rencontre de deux désirs. Explosif à double tranchant, dont la force se situe du côté de la destructivité. Pulsion de mort à entendre selon Lacan comme repère d’ordre dans la chaîne signifiante des deux sujets, mais dont ici l’intersection signifiante peut faire ravage.

Lacan a promut le désir d’analyste comme pivot du transfert, certainement influencé par la pensée de Thomas Szasz disant dans les années soixante : « Le transfert est le pivot sur lequel la structure entière du traitement psychanalytique repose ». A l’époque, Thomas Szasz écrit dans L’international Journal of Psychoanalysis, que le concept de transfert contient en germes les éléments de sa propre destruction mais aussi celui de la psychanalyse elle-même. Il écrit : « Ni la professionnalisation, ni l’élévation des standards, ni les analyses didactiques poussées jusqu’au forçage, ne peuvent nous protéger contre ce danger ». Pensée que Lacan trouve émouvante dans une recherche de l’authenticité du chemin analytique.
Pensée à ne pas laisser de côté, dans cette complexe et déroutante découverte de l’inconscient, dans laquelle le transfert, comme moment de fermeture, peut signer comment quelque chose du sujet, que ce soit chez l’analyste ou l’analysant, est « par derrière aimanté, aimanté à un degré profond de dissociation, de schize » suivant les termes de Lacan dans Les quatre concepts, fondamentaux de la psychanalyse, p. 122.

Le désir d’analyste, peut en outre, comme tout désir, comporter en lui-même une parfaite destructivité. Lacan se demandait même, en fin de son séminaire, Le Transfert, jusqu’où aller dans l’interrogation d’un être, au risque peut être, de soi même disparaître.

Dans son Ethique V, Spinoza nous rappelle que ce qui est le plus important est aussi le plus difficile à atteindre. Lui qui a embrassé en peu de mots dans cet écrit tous les remèdes qui conviennent aux passions nous dit : « Et certes, j’avoue qu’un but si rarement atteint doit être bien difficile à poursuivre ; car autrement, comment se pourrait-il faire, si le salut était si près de nous, s’il pouvait être atteint sans un grand labeur, qu’il fut ainsi négligé de tout le monde ? Mais tout ce qui est beau est aussi difficile que rare ».

Faire donc circuler la parole pour limiter les dangers de destruction a été ma proposition dans cette communication. Car seule la parole contribue au meurtre de la Chose.

Monique Lauret 25 mai 2007


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