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Médecine libérale et colloque singulier

novembre 2006, par Anne D’ANJOU

Article demandé par le Dr Dominique Barbier, membre du comité de rédaction de Synapse, président de l’ANREP.

Le médecin généraliste tient une place toute particulière dans la prise en charge de ses patients. Les caractères du "colloque singulier" médecin-patient tiennent non seulement de la connaissance du milieu social et familial, mais aussi de ce qui se forge dans une relation sur le long terme entre le médecin et ses patients, et qui n’est pas sans parfois "peser" sur la responsabilité médicale. La plainte, la demande adressée au médecin contient une part réelle, mais aussi une part imaginaire et symbolique auxquelles il doit répondre ; l’absence d’organicité, le caractère "fonctionnel" en illustre la difficulté. Écoute et dialogue tiennent ici une place essentielle et permettent de répondre, qu’il y ait prescription de médicaments ou non, à ce qui demeure avant tout une demande de soulagement que le patient adresse à "son" médecin dans un colloque singulier. À mi-chemin entre l’univers scientifique et technique de l’hôpital et celui affectif et social de ses patients, le praticien en milieu libéral tient une place particulière dans la pratique de la médecine... Nous nous intéresserons ici plus spécifiquement à l’exercice de la médecine générale, et après avoir étudié quelques particularités de la relation médecin généraliste-patient, nous tenterons de mieux définir le champ de son action face à la plainte du patient dans le cadre de la consultation.

PARTICULARITÉS DE LA RELATION MÉDECIN GÉNÉRALISTE-PATIENT

La place de l’omnipraticien en pratique libérale

Le médecin généraliste, omnipraticien et médecin de famille

La pratique de la médecine générale se définit d’abord en opposition à celle d’une médecine de spécialités, elle s’occupe de l’ensemble de l’organisme en dehors de toute spécialisation, elle se définit comme une"omni-pratique".
Cependant, cette "omni-pratique" a des limites, en fonction des variations de la pathologie (sévérité par exemple), de la simplification et de la diffusion des techniques, des conditions du maintien à domicile. Elles tiennent également compte des possibilités du plateau technique local, de la proximité d’un hôpital, des compétences de chaque praticien. Certains praticiens généralistes sont ainsi amenés à diagnostiquer et à prendre en charge des pathologies rares ou "lourdes". De ce fait, "l’originalité de la médecine générale correspond à un certain nombre de traits spécifiques qui sont tous des traits de la médecine en général, mais que la médecine générale est seule à rassembler" (5). C’est parce que le généraliste peut répondre à une demande quelle qu’elle soit que le patient vient en premier le consulter. En quelque sorte, qu’importe sa nature, son objet, sa motivation, son intensité, son devenir, la plainte sera entendue.
Enfin, le médecin généraliste est encore dénommé "médecin de famille". La famille, au sens le plus général du terme étant "un ensemble d’êtres (ou de choses) présentant des caractères communs" (4). Le généraliste peut donc prendre en compte plus facilement des facteurs sociaux et environnementaux dans la survenue et l’évolution de certaines pathologies. Il participe ainsi non seulement à l’étude de la survenue de problèmes spécifiques de santé publique, mais aussi à l’application des différentes règles de prévention et de dépistage qui en résultent. Par ailleurs, la famille est, au sens le plus communément entendu, un ensemble d’individus caractérisés par des liens de "sang". Le médecin de famille, intègre alors des facteurs physiques et héréditaires ainsi que des facteurs psychologiques et affectifs dans la prise en charge de son patient. Cette connaissance particulière du milieu familial et social du patient peut aider à comprendre plus facilement l’interaction que peut avoir la maladie non seulement sur ce dernier, mais aussi sur son environnement proche, et les influences qui peuvent ainsi s’exercer sur la relation aux soins et l’évolution de la maladie.

La pratique libérale

Si l’hôpital, lieu de formation des médecins, constitue le modèle fondamental de leur pratique future, il est pourtant entre les pratiques hospitalières et libérales des différences fondamentales qui se découvrent lorsque le médecin ayant terminé son cursus d’études décide d’aller s’installer à son compte.
Dans ces différences, on pourrait citer en premier le relatif isolement du praticien libérale, accroissant d’autant le poids de la responsabilité médicale. Dans son cabinet, le médecin est indépendant et solitaire. Et, même s’il s’entoure de l’avis de pairs ou de spécialistes, il reste le plus souvent seul lorsqu’il doit agir et prendre une décision. À l’hôpital, la situation est complètement différente (8). Il existe une organisation hiérarchique médicale, une prise en charge par l’équipe pluridisciplinaire, ce qui modifie la responsabilité médicale vis-à-vis des patients dont on ne sait parfois plus à qui ils "appartiennent". Pour tenter de pallier cet isolement, nombre de médecins libéraux et en particulier de généralistes établissent des "réseaux" facilitant ainsi les échanges de compétences et les liens avec les praticiens spécialistes.
Une autre des différences fondamentales que l’on envisage volontiers entre les pratiques libérales et hospitalières est la plus grande indépendance, et l’autonomie, du médecin de ville. Mais, c’est sans doute sans compter sur d’autres contraintes : financières, horaires et sociales que le médecin en s’installant doit apprendre à considérer, mais aussi une plus grande importance de la relation médecin-patient que ne lui ont appris ses études hospitalières.
L’étudiant en médecine, néophyte, peut en effet trouver de multiples et diverses occasions pour éviter la relation avec l’homme ou la femme malade, pour ne s’intéresser qu’à un fragment de son corps atteint par la maladie, ou n’établir qu’une "pseudo-relation". Or, c’est de la qualité de cette relation au sujet malade que dépendent non seulement la pratique du médecin mais aussi la pérennisation de son activité.

Les particularités d’une relation sur le long terme

La relation entre le médecin généraliste et ses patients s’établit consultation après consultation, et forge à travers ces rencontres répétées à intervalles de temps variables une connaissance plus approfondie de l’un par l’autre qui fonde le respect et la confiance, parts intégrantes d’une relation durable et bénéfique. Le "long terme" permet la continuité des soins. Un contrat implicite s’établit alors progressivement entre le médecin et le patient. Droits et devoirs réciproques, dans une communication ouverte et claire entre les deux parties de la relation sont alors établis.
Connaissant son médecin, le patient sait ce qu’il peut lui demander, accepter ses limites de disponibilité ou de compétences et le recours, le cas échéant, à une consultation spécialisée ou à une hospitalisation. Connaissant son patient, le médecin peut prendre en compte dans sa démarche de soins non seulement les différents événements survenus dans la santé, mais aussi des aspects affectifs, sociaux, familiaux et professionnels.
Le médecin s’imprègne en effet au fil du temps de l’histoire du patient, il peut ainsi gérer plusieurs symptômes ou problèmes de natures différentes en les hiérarchisant, et accompagner le patient, s’il le faut, lors de différents événements et souffrances de la vie du patient et parfois, jusqu’au terme de celle-ci.
Le médecin généraliste a donc tout particulièrement les moyens d’assurer une prise en charge globale de ses patients, c’est-à-dire d’intégrer dans sa démarche diagnostique et thérapeutique l’ensemble des éléments médicaux ou non qu’il connaît de son patient.

LE MEDECIN GENERALISTE FACE À LA PLAINTE DU PATIENT

De la plainte à l’écoute du symptôme

La plainte et la demande

La plainte est l’expression complexe d’une souffrance, d’une rupture de "l’équilibre physique, psychique et social" de la santé. Elle est demande d’aide, de soulagement et surtout d’écoute. Si elle est parfois difficile à verbaliser par le patient, elle l’est tout autant à être déchiffrée par le médecin.

- "Qu’avez-vous ?
- Eh bien je ne sais pas, c’est à vous de me le dire ! Moi je suis pas médecin."
(9)

La plainte est l’expression d’une souffrance exprimée à travers le corps, un aveu d’impuissance et la recherche d’un soulagement que peut apporter le savoir médical.
Si la plainte du patient s’étaye d’abord sur la perception d’un dysfonctionnement de son corps, d’une perturbation de son état de santé, de nombreux facteurs s’y imbriquent :
- l’interprétation qu’il fait de ce dysfonctionnement ;
- l’angoisse générée par la survenue du symptôme ;
- la représentation de la maladie dans le milieu social et familial ;
- les effets que l’arrivée d’une maladie peut avoir sur l’entourage proche autant que sur le sujet lui-même, réveillant par exemple des angoisses "existentielles".
Et bien d’autres motivations sont encore présentes : "Parce que, quand tu pousses la porte de la chambre, tu vois bien que la toux, la fatigue, la perte d’appétit, les larmes, la fièvre, tout ça n’est qu’une excuse, un prétexte, qui ne te donne pas du tout le fin mot de l’histoire" (9).
À travers la plainte, la maladie s’entoure d’une part réelle (les symptômes médicaux que le praticien repère dans le discours et l’examen clinique), d’une part imaginaire (contenue par exemple en partie dans l’interprétation des symptômes par le patient) et une part symbolique (en tant que la maladie peut, par exemple, réveiller une angoisse de mort).
C’est à la plainte qui lui est adressée que le médecin en premier lieu devra répondre.

Organique et fonctionnel

Le discours médical se centre en premier lieu sur le réel. À partir de la plainte, et par son écoute, l’interrogatoire puis l’examen clinique, le praticien va chercher à déceler une origine organique au trouble présenté par son patient.
L’organicité, c’est-à-dire la mise en cause d’une altération anatomique, donne une explication objective, médicalement reconnue, à la plainte. Elle rassure à la fois le patient et le médecin, en permettant d’envisager une stratégie thérapeutique claire et précise qui mettra fin le plus souvent à la souffrance que le patient exprime au travers de sa plainte.
Mais, il arrive que l’organicité ne puisse être établie. La plainte ne trouve alors pas d’issue immédiate dans l’ordre du savoir médical et va alors faire vaciller en conséquence la confiance du patient, sûr de la souffrance qui l’amène à consulter, vis-à-vis du savoir médical, en son médecin.
Il s’agit d’une mise en échec du savoir médical, mais aussi de la plainte du patient. Les réactions sont alors diverses de part et d’autre : agressivité, surcroît de prescription du médecin et/ou demandes médicamenteuses du patient et/ou d’examens complémentaires. Enfin, le médecin doit parfois faire admettre la nécessité d’un suivi, d’un autre avis médical, d’une surveillance évolutive, bref, d’une hésitation.
Une autre possibilité est que le symptôme soit étiqueté par le médecin comme "fonctionnel". Affirmer le caractère fonctionnel d’un trouble nécessite d’abord d’éliminer le plus exactement possible une éventuelle organicité. Mais, il ne s’agit pas une fois ce terme posé d’exclure le patient de la maladie (6).
Le médecin doit trouver les mots pour prendre en compte le symptôme présenté par son patient. Le sentiment d’échec ou de frustration que crée la situation, dans le "couple" médecin-malade, pourra alors être dépassé. Dans la plainte fonctionnelle s’exprime une souffrance réelle du patient que le médecin accepte de prendre en compte. Affirmer l’absence d’organicité n’est pas pour autant donner un motif de non-recevoir à la plainte. Le dialogue médecin-patient s’ouvre a lors, et le trouble prend une dimension non plus seulement médicale, mais humaine. Le caractère fonctionnel ne signifie pas pour autant une origine exclusivement psychologique.
Il s’agit ici de relier, d’expliciter les liens entre psyché et soma, en se gardant de toute interprétation qui dans ce contexte serait hâtive.
Ainsi, alors que face à une "organicité", le savoir médical suffit à mettre en place une thérapeutique, dans le cas d’une plainte "fonctionnelle", l’écoute et la parole du médecin devenant subjectivantes, prennent en elles-mêmes un rôle thérapeutique essentiel, permettant de donner une place, un sens au symptôme dans l’histoire du patient.

L’effet du médicament et du placebo

Le patient qui vient consulter est "en souffrance", en "attente", l’ordonnance que rédige le médecin, si nécessaire, répond à une demande de soulagement.
La médication se définit comme "emploi systématique d’un ou de plusieurs agents médicaux dans le but défaire disparaître un symptôme, d’améliorer une fonction troublée ou une perturbation biologique, ou encore de modifier la constitution altérée d’une partie de l’organisme" (3).
Les agents médicamenteux sont de natures différentes, et l’on distingue différents types de traitements :
- pharmacologiques, dont le mécanisme d’action est connu (ou non) et, l’efficacité prouvée scientifiquement (ou non), voire pour certains dont l’usage résulte de traditions populaires (phytothérapie) ou de théories médico-philosophiques (homéopathie, médecines extrême-orientales...) ;
- techniques physiques (chirurgie, radiothérapie...) ;
- utilisant les effets positifs de la relation médecin-malade, avec ou sans supports médicamenteux (psychothérapie).
Cette diversité permet au médecin d’adapter sa prescription en fonction des résultats de sa démarche diagnostique, et des avancées du savoir médical et pharmacologique. De cette adaptation résulte une stratégie thérapeutique, donnant à la médication diverses fonctions : étiologique, agissant directement sur l’agent pathogène, voire en prévention (vaccins) ; curative, visant à rétablir l’intégrité lésionnelle ; symptomatique, traitant seulement les effets de la maladie ; palliative, tendant à améliorer le confort du patient malade sans espoir de guérison.
Parmi ces traitements, tous n’ont donc pas une action scientifiquement prouvée, ou un objectif d’efficacité impératif. Mais la médecine est définie comme "la science des maladies et l’art de les soigner" (5), et cet art de soigner que possède le médecin rétablit le patient non plus comme objet (de la science des maladies), mais comme sujet (de soins), avec toutes les implications affectives, psychologiques, sociales que le traitement aura sur lui.
Au sens étymologique du terme, médication, du latin medicatio, désigne l’emploi d’un remède, c’est-à-dire, au sens d’Hippocrate, "tout ce qui modifie l’état présent" (7), celui-ci précise d’ailleurs : "Au malade convient tout changement hors de l’état présent ; car le mal, si on ne le change pas, augmente" (7). Le simple effet de modifier les habitudes de vie du patient par la prise d’un médicament participe-t-il à l’effet thérapeutique ? L’effet placebo, et son emploi dans diverses études nous renvoient encore à cette question.
Tout médecin en prescrivant pourrait donc avoir un effet thérapeutique intrinsèque, en dehors de l’action pharmacologique des produits qu’il a prescrits, ce qui nous rappelle le concept de "remède médecin" que Balint formulait ainsi : "Le médicament de beaucoup le plus utilisé en médecine est le médecin lui-même" (1).

Le colloque singulier médecin-malade a une place essentielle dans la pratique de la médecine générale. Si le discours médical est rationnel et objectif, c’est à l’être malade, considéré comme un ensemble vivant, c’est-à-dire un être humain, un sujet non réductible a un organe ou une pathologie, qu’il s’adresse avant tout.
Cette part de subjectivation, prenant en compte l’individu replacé dans son histoire et son environnement propre est partie intégrante de l’art de l’exercice de la médecine qui ne peut s’effacer devant l’aspect scientifique et technique qui en fonde également la pratique.

RÉFÉRENCES

1. Balint M. Le médecin, son malade et la maladie. Éditions Payot, Paris, 1996.
2. Collard J. "Une approche socio-psychologique de l’effet placebo". Revue Méd., Liège, 1977 ; 32 : 334-38
3. Collectif. Dictionnaire des termes de médecine. Éditions Le Garnier Delamare, Maloine, 23e édition, p. 557.
4. Collectif. Dictionnaire Petit Larousse. Éditions Larousse, Paris, 1998, p. 419.
5. Collectif. Médecine générale, concepts et pratiques. Laboratoire Synthélabo, Éditions Masson, Paris, 1996, p. 556.
6. ColIectif. Sémiologie médicale. Laboratoires Sandoz, Paris, 1989, p. 30.
7. Hippocrate. Œuvres complètes, Épidémies, livre I. Paris, Éditions Baillière et fils, 1839-1861.
8. Schneider P.B. Regards discrets et indiscrets sur le médecin. Éditions Masson, Paris, 1991,p. 133.
9. Winckler M. La Maladie de Sacks. Éditions J’ai lu, POL Éditeur, 1998, p. 83-91.

Documents joints

  • Colloque singulier (PDF - 149 ko)
    Médecine libérale et colloque singulier - par Anne D’ANJOU - paru dans Synapse - n° 229 - novembre 2006

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