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Loi du 17 juin 1998, Suivi socio-judiciaire et injonction de soins

dimanche 20 octobre 2002, par Marc JEAN-TALON

Dans le cadre des premières journées de l’ANREP,
Colloque sur les rapports Médecine, Psychiatrie et Justice du 20 octobre 2002 en AVIGNON

Dans quel contexte a été votée la loi du 17 juin 1998 instituant le suivi socio-judiciaire et l’injonction de soins ?

Plusieurs affaires judiciaires mettant en cause des auteurs d’infractions sexuelles récidivistes, au cours des années 1980 et surtout 1990, ont eu en France un important impact médiatique.

La classe politique a relayé cet émoi en raison tant de l’intérêt croissant porté à la situation des victimes que des inquiétantes données chiffrées dont elle disposait :

- Augmentation du nombre des condamnations prononcées :

en 1995 : 6.934 condamnations pour des atteintes sexuelles dont 1.088 pour viol,

en 1999 : 11.328 condamnations pour des atteintes sexuelles dont 1.917 pour viol,

- Importance du nombre des détenus en raison d’infractions sexuelles : parmi les détenus condamnés, de 20 à 25 % ont commis au moins une infraction sexuelle,

- Taux de récidive : de 10 à 20 % des personnes condamnées en répression d’un acte de pédophilie récidivent.

La réflexion des professionnels, juristes et psychiatres, a mis en évidence que le temps carcéral n’était pas suffisamment mis à profit pour engager le processus thérapeutique et que le suivi post-carcéral était presque inexistant.

Cela a conduit à l’adoption de mesures visant à la prévention et à la répression des infractions sexuelles, et, spécialement, à la prévention des actes de pédophilie.

La loi du 17 juin 1998 introduit ainsi en droit français le suivi socio-judiciaire et l’injonction de soins, mesures destinées d’une part à inciter le condamné à engager un travail thérapeutique pendant le temps de sa détention, et d’autre part à s’assurer après sa remise en liberté qu’il suit les soins adaptés à son état.

Qu’est-ce que le suivi socio-judiciaire ?

Applicable depuis le 20 juin 1998, mais uniquement pour des faits commis à compter de cette date, le suivi socio-judiciaire est prononcé par le tribunal correctionnel ou la cour d’assises.

Il comporte l’obligation pour le condamné de se soumettre à des mesures de surveillance, d’assistance, et éventuellement de soin, destinées à prévenir la récidive.

L’exécution du suivi socio-judiciaire est placée sous le contrôle du juge de l’application des peines.

Sa durée est fixée par la juridiction de condamnation dans la limite de dix ans en cas de condamnation pour délit et de vingt ans en cas de condamnation pour crime.

Dans quels cas peut-il être prononcé ?

Peuvent être condamnés à un suivi socio-judiciaire les personnes déclarées coupables de crimes ou délits sexuels : viol, agression sexuelle, atteinte sexuelle, corruption de mineurs, exhibition sexuelle, mais aussi le meurtre et l’assassinat lorsqu’ils sont précédés ou accompagnés d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie.

Quel est le contenu du suivi socio-judiciaire ?

Le suivi socio-judiciaire comporte des mesures de surveillance, des mesures d’assistance et, si la juridiction la prononce, une injonction de soins.

* Les mesures de surveillance :

Ce sont tout d’abord des mesures qui permettent au juge de l’application des peines d’exercer réellement son contrôle (obligation de se présenter aux convocations, de fournir des justificatifs, d’aviser des changements de résidence ...).

La juridiction qui prononce la condamnation peut ensuite fixer des obligations spéciales permettant notamment d’éviter que le condamné n’entre en relation avec des mineurs, d’imposer la réparation des dommages causés à la victime ou de ne pas rester inactif.

* Les mesures d’assistance ont pour objet de seconder les efforts du condamné en vue de sa réinsertion sociale. Il s’agit en pratique de l’intervention d’un travailleur social désigné par le juge de l’application des peines.

* L’injonction de soins : il s’agit de l’obligation de se soumettre aux examens, soins et traitements proposés.

L’injonction de soins ne peut être prononcée que s’il est établi après une expertise médicale que la personne condamnée est susceptible de faire l’objet d’un traitement.

Comment sont articulés le suivi socio-judiciaire comprenant une injonction de soins et la peine privative de liberté ?

Lorsque le condamné à un suivi socio-judiciaire comprenant une injonction de soins subit une peine privative de liberté, il doit exécuter sa peine dans un établissement pénitentiaire susceptible d’assurer un suivi médical et psychologique adapté.

L’expertise médicale est d’ailleurs communiquée à l’administration pénitentiaire afin de faciliter le suivi médical et psychologique en détention.

Le condamné est informé par le président de la juridiction de condamnation puis par le juge de l’application des peines qu’il a la possibilité d’entreprendre un traitement pendant l’exécution de sa peine.

Si le condamné ne consent pas à suivre le traitement proposé, cette information est renouvelée au moins tous les six mois.

Le condamné qui refuse les soins pourra se voir refuser les mesures d’aménagement de la peine (permissions de sortir, libération conditionnelle, réductions de peine, semi-liberté ...).

Avant la libération du condamné et lorsque plus de deux années se sont écoulées depuis la dernière expertise médicale, le juge de l’application des peines doit ordonner une nouvelle expertise médicale.

Précisons enfin que lorsque l’injonction de soins s’ajoute à une peine privative de liberté, elle ne prend effet qu’à l’issue de cette peine.

Comment est exécuté le suivi socio-judiciaire comprenant une obligation de soins ?

L’exécution du suivi socio-judiciaire est placée sous le contrôle du juge de l’application des peines, qui peut modifier à tout moment le contenu des obligations imposées au condamné.

Le juge de l’application des peines doit rappeler au condamné, avant sa libération s’il est détenu, les obligations auxquelles il est soumis et les modalités de l’emprisonnement encouru en cas de manquement à ces obligations. Il doit aussi lui indiquer le nom du médecin coordonnateur que le condamné devra rencontrer dans le délai d’un mois.

Lorsque le condamné a purgé une peine d’emprisonnement, le juge de l’application des peines du lieu de détention communique au juge de l’application des peines compétent pour contrôler le suivi socio-judiciaire le dossier individuel du condamné (comprenant en particulier les expertises médicales et psychologiques).

Le juge de l’application des peines peut désigner le service pénitentiaire d’insertion et de probation pour veiller au respect des obligations imposées au condamné.

Le juge de l’application des peines peut ordonner toutes mesures utiles, et notamment toutes expertises, pour l’informer sur l’état médical et psychologique du condamné.

Comment l’injonction de soins est-elle mise en oeuvre ?

* Le principe : la liberté des soins. La loi prend le soin de rappeler que :

- aucun traitement ne peut être entrepris sans le consentement de l’intéressé,

- la personne condamnée peut changer de médecin traitant,

- le médecin traitant peut interrompre le suivi d’une personne condamnée,

- le juge de l’application des peines ne peut intervenir dans le déroulement des soins décidés par le médecin traitant.

* Le médecin coordonnateur :

Le procureur de la République établit tous les trois ans la liste des médecins coordonnateurs, choisis parmi des psychiatres ou des médecins ayant suivi une formation appropriée.

Pour chaque condamné à une injonction de soins, le juge de l’application des peines désigne un médecin coordonnateur et lui adresse copie des pièces de la procédure utiles à l’exercice de sa mission.

Le médecin coordonnateur convoque la personne condamnée pour un entretien au cours duquel il lui fait part des modalités d’exécution de l’injonction de soins.

Le médecin coordonnateur est chargé :

- d’inviter le condamné, au vu des expertises réalisées, à choisir un médecin traitant

Le médecin coordonnateur ne peut refuser le choix du médecin traitant, sauf si celui-ci n’est manifestement pas en mesure de conduire la prise en charge d’auteurs d’infractions sexuelles.

En cas de désaccord persistant sur le choix effectué, le médecin traitant est désigné par le juge de l’application des peines après avis du médecin coordonnateur. Le médecin traitant doit toutefois avoir été pressenti ou accepté par la personne condamnée. Si cette désignation s’avère impossible, le juge de l’application des peines peut ordonner la mise à exécution de l’emprisonnement.

Le médecin coordonnateur informe le médecin traitant pressenti du cadre juridique dans lequel s’inscrit l’injonction de soins et reçoit son accord confirmé par écrit.

- de conseiller le médecin traitant, à la demande de ce dernier. Le médecin coordonnateur remet au médecin traitant les rapports des expertises médicales et les pièces du dossier utiles au traitement.

- de transmettre au juge de l’application des peines les éléments nécessaires au contrôle de l’injonction de soins. A cet effet, il convoque périodiquement et au moins une fois par an le condamné pour réaliser un bilan de sa situation.

- au terme du suivi socio-judiciaire, d’informer le condamné, en liaison avec son médecin traitant, de la possibilité de poursuivre son traitement en l’absence de contrôle de l’autorité judiciaire

Le médecin coordonnateur est ainsi l’interface du dispositif. Il va être garant de l’effectivité et du sérieux des soins à l’égard du magistrat, et de la liberté des soins à l’égard du médecin traitant.

La rémunération du médecin coordonnateur est actuellement fixée à 426,86 euros par personne suivie et par année civile. Le médecin coordonnateur ne peut suivre plus de quinze personnes au cours d’une même année.

* Le médecin traitant

Il conduit les soins dans le respect des règles déontologiques. En particulier :

- il délivre périodiquement des attestations de suivi, afin de permettre au condamné de justifier de l’accomplissement de l’injonction de soins au juge de l’application des peines,

- il est habilité à informer le juge de l’application des peines de l’interruption du traitement sans que puissent lui être opposées les dispositions relatives au secret professionnel. Dans ce cas, il avise immédiatement le médecin coordonnateur,

- il peut aviser le médecin coordonnateur de toutes difficultés survenues dans l’exécution du traitement. Le médecin coordonnateur est alors habilité à prévenir le juge de l’application des peines sans que puissent lui être opposées les dispositions relatives au secret professionnel.

Quelle est la sanction des manquements aux obligations fixées ?

La juridiction qui prononce le suivi socio-judiciaire fixe la durée maximum de l’emprisonnement encouru par le condamné en cas d’inobservation des obligations qui lui sont imposées, et ce dans la limite de deux ans en cas de condamnation pour délit et de cinq ans en cas de condamnation pour crime.

C’est le juge de l’application des peines lui-même qui, après avoir constaté la violation d’une ou de plusieurs des obligations imposées au condamné (en particulier le refus de se soumettre au traitement proposé), pourra ordonner l’exécution de tout ou partie de la peine d’emprisonnement après avoir procédé à un débat contradictoire.

L’accomplissement de l’emprisonnement pour inexécution des obligations ne dispense toutefois pas le condamné de l’exécution du suivi socio-judiciaire. En cas de nouveau manquement par le condamné à ses obligations, le juge de l’application des peines peut de nouveau ordonner l’exécution de la peine d’emprisonnement, dans la limite de la durée maximale fixée par la juridiction de condamnation.

Quelle évaluation peut-on faire du nouveau dispositif légal ?

On ne disposera d’un recul suffisant pour effectuer une évaluation objective de la loi du 17 juin 1998 que dans plusieurs années.

Le faible nombre des critiques exprimées laisse penser qu’un équilibre subtil a été atteint entre le volet pénal et le volet médical.

La réussite du dispositif est toutefois suspendue aux réponses qui seront apportées aux questions suivantes :

- peut-on évaluer objectivement l’efficacité des traitements actuellement mis en oeuvre sur le taux de récidive ?

- quelle est la position des experts sur l’opportunité de l’injonction de soins lorsque la personne examinée nie les faits ?

- la possibilité pour le médecin traitant de communiquer des informations relatives aux soins en cours ne va-t-elle pas modifier la relation avec son patient ?- les équipes soignantes réussiront-elles à assurer la continuité des soins entre le milieu carcéral et le milieu post-carcéral ?

- les importants moyens humains et matériels nécessaires seront-ils disponibles ?

Le 7 octobre 2002
Marc JEAN-TALON
Juge de l’application des peines au Tribunal de grande instance de Carpentras

Textes

Articles 131-36-1 à 131-36-8 du code pénal,
Articles 763-1 à 763-9, R 57-5 à R 57-7, R 58, R 59 et R 61 à R 61-6 du code de procédure pénale,
Articles L 3711-1 à L 3711-5 du code de la santé publique

Bibliographie sommaire

Le suivi socio-judiciaire applicable aux délinquants sexuels ou la dialectique sanction-traitement, J. CASTAIGNEDE, Recueil Dalloz, n° 3, 21.01.1999, p. 23

L’injonction de soins et le suivi socio-judiciaire, P. DARBEDA, Revue de science criminelle, n° 3, juillet-septembre 2001, p. 625-638,

Pour une éthique des soins pénalement obligés, X. LAMEYRE, Revue de science criminelle, n° 3, juillet-septembre 2001, p. 521-536,

Conférence de consensus “psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’agression sexuelle”, Bulletin de la Fédération Française de Psychiatrie, n° 31, décembre 2001

La prise en charge des agresseurs sexuels, aspects éthiques, juridiques et médicaux, F. COCHEZ, S. GROMB, A. OLIVEIRA, B. ANTONIOL, J.-D. CAVAILLE, Journal de Médecine Légale Droit Médical, 2001, Vol. 44, N° 7-8, 602-609

Les aspects médico-psycho-judiciaires de la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des auteurs d’infraction sexuelles : apport des décrets d’application, V. AGHARABIAN, D. GIOCANTI, C. LANCON, P. AUQUIER, G. LEONETTI, Journal de Médecine Légale Droit Médical, 2002, Vol. 45, N° 1, 19-24

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